La sorcière de Rennes

Halloween s’impose tous les 31 octobre comme la fête commerciale par excellence, celle importée et imposée par les multinationales de la confiserie, des sucres ajoutés, des colorants divers et variés et des graisses saturées. On en oublierait presque que derrière cette mascarade se nichent des croyances ancestrales et une manière d’exorciser la mort qui plonge dans la nuit des temps. Aussi, dire qu’Halloween n’est qu’une « fête américaine », comme si cette nationalité suffisait à la disqualifier, revient à ignorer tout un ensemble de rites et traditions qui, même en Bretagne, cette région que l’on dit tellement liée à la religion, participent d’une telle logique. Ainsi, la rubrique faits-divers des journaux regorge d’informations qui, pour l’historien, sont particulièrement intéressantes et témoignent justement de la survivance de ces croyances ancestrales.

Carte postale. Collection particulière.

Tel est le cas de l’édition du 29 mai 1935 de L’Ouest-Eclair, numéro relatant les « exploits » d’une « sorcière rennaise » en Mayenne1. L’affaire se passe à Ballots, commune située entre Martigné-Ferchaud et Craon et c’est sur les époux Moreau, leur fille aînée, leur garçon et leurs deux benjamines que la guérisseuse décide d’exercer ses talents, non d’ailleurs sans un certain aplomb : « Vos filles sont malades par suite du mauvais sort, dit-elle ; mais, heureusement, je suis là et nous allons faire crever celui qui les a ensablatées. »

Signé « G. Cotelette », l’article publié par le quotidien catholique breton, et par conséquent peu suspect de complaisance avec ces pratiques païennes, est particulièrement surprenant, et pas nécessairement pour les raisons que l’on pourrait de prime abord croire. L’histoire qui est narrée est en effet des plus classiques. La sorcière serait ainsi selon l’auteur une « matrone plus ou moins diplômée, domiciliée rue de Paris à Rennes » mais aurait exercé ses « talents » sur les deux jeunes filles Moreau à La Guerche, commune située à une quinzaine de kilomètres de Ballots. Ne pouvant manifestement rien contre le sort lui-même, la « guérisseuse » ne pouvait probablement que le détourner et décida donc de l’octroyer à une tierce personne, en l’occurrence un pauvre infirme dénommé Jallu.

Sans prétendre à une quelconque expertise en matière de sorcellerie, force est également d’admettre que la combinaison d’antidotes utilisés pour faire fuir le sortilège ne parait pas particulièrement originale. On relève ainsi du sel jeté sur les deux premières personnes qui tombent sous la main ainsi que des crapauds que l’on doit faire sécher sur un fil de fer dans la cheminée. Et comme par enchantement, le pauvre Jallu, décrit dans les colonnes de L’Ouest-Eclair comme « un brave et honnête garçon, parfaitement considéré de tous et incapable de faire le mal », ne tarda pas à tomber malade « comme une masse, frappé d’une double congestion ».

Carte postale. Collection particulière.

L’histoire pourrait en rester là, consignée au rayon des curiosités folkloriques ou, c’est selon, dans l’immense catalogue des manifestations de la crédulité des gens. Or, c’est justement tout l’inverse que proclame G. Cotelette, rappelant par la même occasion que le catholicisme dont se réclame L’Ouest-Eclair n’efface pourtant pas toutes les croyances, même les plus anciennes et les plus païennes. En effet, le journaliste n’hésite pas à procéder à la fin de son reportage à une sérieuse mise en garde : « A ceux qui seraient tentés de croire que nous racontons des bobards, tellement sont absurdes ces pratiques, nous dirons : nous vous avons fourni des noms et des adresses ; rendez-vous compte, comme nous l’avons fait nous-mêmes, et vous verrez que nous n’avons rien exagéré ». Une conclusion que la bonne conduite journalistique réprouverait sans doute mais qui ne manque pas de susciter la curiosité de l’historien.

Erwan LE GALL

 

1 « La sorcellerie dans la Mayenne », L’Ouest-Eclair, n°11257, 29 mai 1930, p. 7.