Le clown Chocolat fils en représentation à Rennes

L’information aurait de quoi surprendre. Le 5 avril 1931, le quotidien rennais L’Ouest-Eclair annonce fièrement la prochaine représentation à Rennes du « populaire clown Chocolat », pourtant mort 14 ans plus tôt à Bordeaux. Loin d’être ressuscité, le Chocolat dont il est question se trouve être le fils adoptif de Raphaël Padilla1. Eugène Grimaldi découvre la piste aux côtés de son père en formant le duo « Tablette et Chocolat ». Mais en 1912, le service militaire d’Eugène interrompt brusquement sa carrière. Mobilisé en 1914, il n’aura plus l’occasion de se produire avec son père.

Le cirque Médrano à Paris. Carte postale. Collection particulière.

Au début des années 1920, Eugène décide de revenir sur la piste, reprenant alors le nom de scène de son père adoptif. Chez Médrano, Chocolat fils rencontre un certain succès avec son partenaire Porto. En 1926, il fait également une brève apparition dans les salles de cinéma en interprétant un rôle secondaire dans le film de Georges Lannes, L’orphelin du cirque, en 1926. Au début des années 1930, il se produit en province dans une opérette intitulée « L’amoureuse escapade ». C’est à cette occasion qu’il vient à Rennes lors des fêtes de Pâques. Parmi tous les acteurs de la troupe, c’est bien Chocolat qui occupe le haut de l’affiche, profitant certainement de la popularité de son nom. Il n’est d’ailleurs pas impossible que les responsables de la tournée profitent de la confusion entre le père et le fils pour tenter d’attiser l’envie des spectateurs.

La campagne publicitaire promet une « opérette hilarante en 3 actes que tout le monde peut voir et entendre »2. Mais, dès la première représentation, le public déchante. S’estimant littéralement berné – ou « chocolat » pour reprendre l’expression popularisée par le clown3 – un journaliste rennais témoigne de sa déception :

« Nous ne voudrions faire, aux directeurs de tournées, nulle peine, même passagère, mais franchement, l’amoureuse escapade n’est pas destinée, croyons-nous, à laisser, aux Rennais, le souvenir d’une exquise soirée.  […] A part quelques jeux de mots, il n’y fuse guère d’esprit et les situations, pour drolatiques qu’elles soient, ne réussissent pas à déchainer le rire. »4

Et le localier conclure son propos en jugeant la mise en scène de Deauville comme d’une « honnête médiocrité qui s’étend à tous ses détails, jusqu’au décor de la mer indigo ». A ses yeux, seul Chocolat trouve grâce. Le duo qu’il forme avec l’auguste Totor constitue le seul moment durant lequel l’opérette « fût vraiment très drôle ».

Carte postale. Collection particulière.

En dehors de sa venue à Rennes, Chocolat fils est assez peu médiatisé en Bretagne. Il faut attendre 1934 pour que son nom soit mentionné dans une brève annonçant son décès. Ce dernier est alors présenté comme « un excellent clown plein de verve » 5. En lui consacrant quelques lignes, le quotidien breton rend un hommage plus important que celui qui avait été accordé à son père, mort dans un relatif anonymat en 1917 alors que la guerre mobilisait les esprits et réduisait le nombre de pages des journaux... Mais, le nom de Chocolat est plus attaché à la personnalité du père que du fils Ainsi, la rédaction estime nécessaire de rappeler que ce Chocolat « était le fils du célèbre Chocolat, partenaire de Footit ». A aucun instant le journal ne précise l’identité d’Eugène Grimaldi. Comme Raphaël Padilla, il meurt « sans nom ».

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 NOIRIEL, Gérard, Chocolat. La véritable histoire d'un homme sans nom, Paris, Bayard, 2016.

2 « Théâtre municipal de Rennes », L’Ouest Eclair, 4 avril 1931, p. 6.

3 L’expression « Je suis chocolat » était très populaire au début du XXe siècle. Elle désigne quelqu’un qui s’est fait berner.

4 « L’Amoureuse escapade », L’Ouest-Eclair, 5 avril 1931, p. 7.

5 « Chocolat II est mort », L’Ouest-Eclair, 14 septembre 1934, p. 3.