Le Code de la route : marque de la prime à l’urbain ?

Durant l’entre-deux-guerres, la route voit cohabiter les automobiles, de plus en plus nombreuses, et les voitures hippomobiles, encore largement majoritaires à l’époque. Cette intrusion de la modernité vient bouleverser les habitudes des campagnes bretonnes. Conscient de la nécessité de faire cohabiter les différents usagers, l’Etat décide de réglementer l’utilisation de la chaussée en instaurant un code de la route en 1921. Or ces règles constituent un réel object d’histoire. Leur réception par la population tend en effet à souligner le fossé grandissant qui paraît se creuser, en ces lendemains de Première Guerre mondiales entre les villes et l’espace rural.

Carte postale. Collection particulière.

En février 1923, L’Ouest-Eclair consacre deux articles aux modifications du code de la route qui viennent d’être promulguées au Journal Officiel1. Le quotidien qui regrettait quelques mois plus tôt qu’aucune disposition n’ait été prise pour « documenter les populations rurales », estime qu’il est cette fois « indispensable que le public soit mis au courant de dispositions auxquelles il ne pourra plus se soustraire sans impunité ». C’est donc à la majorité de son lectorat, celui du monde rural, qu’il destine sa mise au point.

Le quotidien insiste en premier lieu sur l’installation des feux. Il s’agit très certainement de la mesure la plus contraignante qui est imposée aux conducteurs de véhicules à traction animale. Chaque véhicule doit en effet être équipé « vers l'avant par un ou deux feux blancs et vers l'arrière par un feu rouge », à l’exception des « voitures agricoles se rendant de la ferme aux champs ou des champs à la ferme » qui peuvent utiliser un simple « falot porté à la main ». C’est bien l’automobile qui impose ici sa loi puisque les feux sont cesser leur « signaler » la présence des véhicules hippomobiles lorsque la nuit tombe, et non l’inverse...

L’autre danger de la cohabitation cheval vapeur et animal, si l’on ose s’exprimer ainsi, se situe aux intersections. L’Ouest-Eclair rappelle que tout véhicule qui aborde une bifurcation doit « annoncer son approche ou vérifier que la voie est libre, marcher à allure modérée et serrer sur sa droite, surtout aux endroits où la visibilité est imparfaite ». Le quotidien breton précise ensuite que la priorité appartient à celui qui circule sur une route nationale et qu’en cas de croisement « des chemins de même catégorie au point de vue de la priorité », c’est la règle de la priorité à droite qui s’impose. Mais pour s’arrêter, encore faut-il être équipé de freins. Le problème avec les animaux n’est pas la vitesse – bien entendu – mais plutôt leur capacité à s’arrêter, surtout lorsqu’ils tractent une lourde charge dans une descente. En conséquence, si « la topographie l'exige », le préfet peut imposer aux agriculteurs l’installation « d'un frein ou d'un dispositif d’enrayage ».

Carte postale. Collection particulière.

Dans ces conditions, même si L’Ouest-Eclair se réjouit que le nouveau code de la route soit « moins rigoureux que le précédent pour les cultivateurs », il n’en demeure pas moins une réelle contrainte. Déjà sceptique à l’égard de l’intrusion des tramways dans les campagnes, la population rurale l’est tout autant à l’égard des automobiles comme semble l’indiquer les nombreuses cartes postales humoristiques qui, à l’époque, reprennent cette thématique. Il ne fait alors aucun doute que la réglementation routière imposée dans les années 1920 contribue à accentuer l’hostilité des campagnes à l’égard des chevaux mécaniques.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Le nouveau code de la route », L’Ouest-Eclair, 7 février 1923, p. 2 ; « Le nouveau code de la route », L’Ouest-Eclair, 9 février 1923, p. 2.