Le Normandie dans le cœur des Bretons

Le Normandie est un des projets les plus ambitieux développé par la France dans les années 1930. Le « plus grand paquebot du monde » quitte les chantiers de construction de Saint-Nazaire au début du mois de mai 1935 avec à son bord le ministre de la Marine marchande William Bertrand et le sénateur du Morbihan Alphonse Rio. Avant de rejoindre Le Havre, où il doit être inauguré officiellement, le « palais flottant » s’attarde dans le sud de la Bretagne pour y effectuer des « essais de vitesse ».

Carte postale. Collection particulière.

Le 7 mai, il est prévu que le paquebot mouille pendant trois petites heures en face de Port-Tudy, sur l'île de Groix, éperon rocheux situé au large de la rade de Lorient. Cette présence est une aubaine pour les Morbihannais qui pourront apercevoir un navire déjà emblématique. La « Compagnie des Vapeurs de Groix », en collaboration avec Le Nouvelliste du Morbihan, se saisit de l’opportunité pour organiser des sorties exceptionnelles au  prix de 5 Francs. Elle met à disposition une de ses navettes Le Penn-er-Vro et « si besoin » une autre, L’île de Groix. Le programme serré s’adapte à la courte présente du Normandie :

« Départ du bateau, 20 heures très précises. Tour du paquebot. Retour à Lorient vers 22 heures. »1

La compagnie est dépassée par le succès de l'opération. Les deux navettes prennent la mer, abandonnant derrière elle des dizaines de Lorientais frustrés de ne pas être montés à bord. Confortablement installé dans un des bateaux, un journaliste jette sur le papier son émotion :

« Maintenant, nous sommes à cinquante mètres de la Normandie et déjà, elle nous surplombe, comme un géant une bestiole.
Nous avançons encore et nous voici désormais prisonniers, du halo lumineux qui nous recouvre d’une chape rutilante.
À bord, nous sommes  un peu muets de stupeur. Pauvres oiseaux de mer fascinés par un grand phare. Notre moteur semble craintif, mettre une sourdine à sa voix. Nous n’osons plus attaquer le monstre de face, nous le prenons timidement par l’arrière. S’il lui prenait la fantaisie de nous dévorer, il ne ferait de nous qu’une bouchée. »2

Ces quelques lignes témoignent de la virtuosité du bâtiment. Jamais un Breton n’aura évoqué avec des termes si élogieux « la » Normandie.

De nombreux pères de famille mesurent la portée de l’évènement et tiennent à ce que leurs enfants voient de leurs yeux ce navire dont on parle tant depuis quelques années. Finalement, à la plus grande joie des laissés-pour-compte de la veille, le paquebot change ses plans. Non seulement il demeure toute la nuit à Groix mais en plus, il annonce y revenir la nuit suivante. Une navette retourne alors le lendemain soir faire le tour du fleuron de la flotte commerciale française.

Carte postale. Collection particulière.

Pourtant, le journaliste soulève un aspect négatif de cet évènement. Selon lui, les autorités locales n’ont montré aucun intérêt à la présence du paquebot. « En Angleterre, en Italie, en Allemagne, au Japon ou aux Etats-Unis, partout la ville favorisée d’un tel voisinage eut retenti de bruits de fête […] illuminations et fanfare ». Certes, mais une telle critique doit être nuancée. On le voit bien, il est difficile d’anticiper le programme d’un navire en période d’essai. Les trois heures transformées en 48 heures en sont bien la preuve. Aussi, de grandes festivités sont prévues quinze jours plus tard au Havre avec le Président de la République Albert Lebrun. En revanche, ce propos semble témoigner de l’inquiétude de l’auteur à propos des manifestions patriotiques et passionnées qu'il constate outre-Rhin. C’est en effet par ces mots qu’il termine son article : « Au loin une canonnade tonnait, comme un écho des manœuvres navales de Brême que préside, à bord du Leipzig, l’inquiétant führer chancelier ».

Yves-Marie EVANNO

 

1 « Le paquebot « Normandie » a quitté ce matin les eaux de Belle-Île », Le Nouvelliste du Morbihan, 7 mai 1935, 49e année, n°108, p. 2.

2 « Le paquebot « Normandie » reviendra ce soir mouiller sous Groix », Le Nouvelliste du Morbihan, 8 mai 1935, 49e année, n°109, p. 3.