Le puits sans fond de l’amour ?

Loin de nous l’idée de vous rappeler que les histoires d’amour, comme dirait la chanson, finissent mal en général. Mais c’est pourtant bien ce qui vient à l’esprit de quiconque connait la fin tragique d’Anna Raude, retrouvée à demi-consciente dans le puit d’un jardinet d’Hennebont, commune du Morbihan située non-loin de Lorient.

Carte postale. Collection particulière.

Tout débute de la plus belle manière, par le mariage célébré le 24 janvier 1933 d’un usinier de 34 ans dénommé Joseph Cadet avec Anna Raude, une tenancière de débit de boisson du même âge. Pourtant, moins de trois mois plus tard, la jeune femme est extraite du puits du jardinet attenant au café par Marcel Gagne, un cousin de son mari. L’affaire est ténébreuse et la presse elle-même ne sait pas trop quoi en penser.

Deux éléments attirent en effet l’attention. Le premier concerne les dimensions du puits : profond de 8 mètres environ, il contient 2,50 mètres d’eau mais n’est large que de 75 centimètres de diamètre à son entrée. Si le fond est plus large, il n’est que d’1,20 mètres ce qui reste tout de même assez étroit. Or, chose étrange, lorsque Marcel Gagne parvient à extraire Anna Raude de ce puits, celle-ci est certes mal en point – elle ne tarde d’ailleurs pas à décéder – mais ne présente aucune blessure visible, comme si elle était tombée à la verticale parfaite, n’heurtant aucune paroi. Tout ceci est bien entendu peu plausible et incite la presse locale, qui bien évidemment ne peut que se régaler d’un tel fait divers, à pencher pour la thèse du suicide1. C’est d’ailleurs l’option est également privilégiée par la justice puisque le parquet de Lorient décide de ne pas donner suite à l’enquête diligentée par la gendarmerie2.

Mais là n’est sans doute pas le plus intéressant pour l’historien qui préférera se concentrer sur le contexte de cet atroce fait divers tel que relaté par la presse. Lorsqu’elle est enfin dégagée du puits, Anna Raude semble en effet sérieusement ivre, tout comme son mari d’ailleurs. Et pour L’Ouest-Eclair, cela ne fait aucun doute, c’est bien « un drame de l’ivresse » qui s’est produit ce jour-là Hennebont3. Le Nouvelliste de Vannes n’hésite d’ailleurs pas à préciser que « dans tout le voisinage, on déclare que Cadet et sa femme s’adonnaient à la boisson et que les querelles du ménage étaient fréquentes, revêtant parfois un caractère d’extrême violence ». En définitive, c’est bien un « ménage d’ivrognes » que forme le couple Cadet4.

A l'intérieur d'un débit de boisson, sans date. Collection particulière.

Et c’est d’ailleurs bien cela qui frappe quiconque se penche aujourd’hui sur cette affaire : la virulence avec laquelle la presse condamne les deux époux. Seulement considéré comme une tare sociale, l’alcoolisme n’est pas encore appréhendé comme une pathologie.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Tragique épilogue d’une scène de ménage à Hennebont », Le Nouvelliste du Morbihan, 48e année, n°63, 17 mars 1933, p. 5.

2 « L’affaire du puits de Kermain », Le Nouvelliste du Morbihan, 48e année, n°64, 18 mars 1933.

3 « Un drame de l’ivresse à Lorient », L’Ouest-Eclair, 34e année, n°13280, 17 mars 1933, p. 5.

4 « A Hennebont, on découvre une femme mourante dans un puits », Le Nouvelliste de Vannes, 19 mars 1933, p. 5.