Les anciens combattants d’Ille-et-Vilaine et le 6 février 1934

Les manifestations parisiennes du 6 février 1934 sont un évènement considérable qui ne laisse aucunement indifférent la Bretagne. Au contraire même, à en juger par la place que leur accorde la presse. L’Ouest-Eclair évoque en pleine première page avec force détails une « soirée tragique » tandis que La Dépêche de Brest insiste sur l’action des Camelots du Roi.

Loin d’être un épiphénomène, cette manifestation du 6 février 1934, ainsi que sa réplique de gauche, une semaine plus tard, révèlent le profond malaise de la population face à la crise économique, sociale et politique qui sévit.  Ce sans même parler de la situation internationale, de jour en jour plus inquiétante.

C’est dans ce contexte agité que parait le numéro de février du Combattant d’Ille-et-Vilaine, organe mensuel de la section départementale de l’Union nationale des combattants. Y figure notamment, en première page, un très intéressant – et virulent – éditorial intitulé « Deuxième avertissement ». Ce texte est doublement intéressant. Tout d’abord parce que les anciens combattants ont un rôle important dans ces manifestations du 6 février 1934 et que cet article est publié dans le journal d’une association plutôt conservatrice qui, en Ille-et-Vilaine, compte pas moins de 25 000 adhérents1. Mais, et peut-être même surtout, si ce texte est une source d’un grand intérêt, c’est aussi parce que ces membres de l’Union nationale des combattants sont dirigés en Ille-et-Vilaine par une figure singulière : René Patay.

Né à Rennes dans une famille très bien implantée dans la notabilité du chef-lieu d’arrondissement d’Ille-et-Vilaine – son père préside la Société des régates et compte à ce titre parmi les personnalités de la ville – René Patay s’engage en 1915, alors qu’il n’a que 17 ans, au 7e régiment d’artillerie de campagne, puis est breveté pilote. Affecté au prestigieux groupe de combat des Cigognes, il est grièvement blessé alors que son avion est abattu par l’As allemand Josef Veltjens.

Cette blessure ainsi que sa bonne réputation le conduisent à présider, à partir de 1928, alors qu’il n’a que trente ans, l’Union nationale des combattants dans le département. Entre temps, jeune homme brillant, il suit des études de médecine qui l’amènent à sympathiser, autour des paillasses de dissection, avec un jeune camarade appelé à une certaine célébrité : Louis Destouches plus connu sous son nom d’auteur, Louis-Ferdinand Céline.

René Patay n’est pas un homme de gauche et l’association qu’il préside jouit en ces années d’entre-deux-guerres d’un réel poids politique. Souvent considéré comme proche du colonel de La Rocque et du mouvement Croix de Feu, cet homme complexe – qui mériterait une biographie fouillée – est donc particulièrement intéressé par les évènements du 6 février 1934, élément qui confère un intérêt supplémentaire à cet éditorial du Combattant d’Ille-et-Vilaine.

Or que nous dit cet article ? Tout d’abord, on notera avec intérêt qu’il s’agit là d’un appel au « sang-froid » et au « calme », manière de désavouer la tournure prise par la manifestation parisienne – qui se solde, rappelons-le, par un très lourd bilan s’élevant à 14 morts et plus de 650 blessés. Le texte a beau être envoyé « par un camarade », il est publié car jugé comme dénotant « un esprit assez général dans les associations d’anciens combattants », qui pour la société française de l’époque recouvrent une très large assiette. Il y a certes un plaidoyer pour le travail, contre l’anarchie et une critique à peine voilée du parlementarisme mais, plus encore, on sent à quel point est forte l’exaspération, comme le rappelle le titre « Deuxième avertissement ».

Des barricades sont dressées le 6 février 1934 place de la Concorde, à Paris. Photographiée publiée par L'Ouest-Eclair le 7 février 1934. Archives Ouest-France.

L’éditorial se poursuit en évoquant la gravité de la situation des anciens combattants, touchés de plein fouet par la crise économique et sociale. On peut certes considérer cela comme une revendication catégorielle mais l’action sociale étant à la base de ces associations d’anciens combattants, force  est néanmoins d’accorder un certain crédit à ce propos. Mais, plus encore, ce que révèle cet éditorial c’est la fracture entre les anciens combattants – un mouvement de masse à l’époque – et la classe dirigeante : « Les  A.C. se rendent comptent que la guerre n’a rien appris à ceux qui ne l’ont pas faite (sinon à nous trouver encombrants), et que les mêmes routines et aussi les mêmes combines qu’autrefois, président à notre administration ».

Un propos lourd de conséquences qui dit à la fois les espoirs déçus de la guerre, qui devait faire émerger un homme nouveau, né des tranchées, et les profondes fractures qui scandent la société française du milieu des années 30. Mais un texte également très dur à interpréter qui, à lui seul, parait bien résumer les actuels débats historiographiques sur le Colonel de la Rocque et sur cette notion âprement discutée de « fascisme français ».

Erwan LE GALL

 

1 Sur l’UNC en Ille-et-Vilaine on renverra à LAGADEC, Yann (en collaboration avec RANNOU, Yves), «  L’Union nationale des combattants en Ille-et-Vilaine dans l’entre-deux-guerres : le témoignage du docteur René Patay », Bulletins et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2013, p. 286-317.