Les nazis au Croisic en 1934 !

Totalement incongrue, la scène se passe au Croisic, petit port de pêche breton de Loire-Inférieure situé non loin de l’estuaire de la Loire. Dans la matinée du dimanche 29 juillet 1934, un hydravion se pose sur les traicts du Croisic, ce bras de mer venant deux fois par jour recharger en eau les marais salants de Guérande. Dans son édition du 4 août 1934, Le Courrier de Saint-Nazaire et sa région explique : « Il ne pouvait y avoir de doute sur sa nationalité. Cet hydravion complètement peint en rouge avec les ailes grises portait en médaillon, sur le gouvernail, la fameuse croix gammée ». La situation est telle que l’Ouest-Eclair publie le lendemain en première page une photographie de l’appareil.

La photographie publiée en une de L'Ouest-Eclair. Archives Ouest-France.

La quotidien rennais est d’ailleurs moins neutre dans son approche de ce fait divers que Le Courrier de Saint-Nazaire et laisse, semble-t-il, transparaitre ce qui a pu être la réaction des Croisicais assistant à ce curieux spectacle. En effet, la première sensation de surprise « s’effaça vite devant une sensation plus amère, plus vive ». Et de préciser que « sur le gouvernail de l’oiseau marin était peinte en noir sur fond blanc, l’inquiétante croix gammée ». Au lendemain du vingtième anniversaire de l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo, la mémoire de la Première Guerre mondiale est d’autant plus vive que l’accession d’Hitler au pouvoir relance les tensions franco-allemandes.

Dans ces conditions, on comprend tout de suite que les forces de l’ordre se déplacent et procèdent à l’interrogatoire des pilotes. La méfiance semble ici d’autant plus évidente que les rumeurs ne tardent pas à proliférer et que les conséquences sur l’ordre public paraissent réelles : « les mots d’espionnage, mission secrète, invasion, guerre possible, attentat, couraient par les rues du port de pêche inquiet d’un mauvais réveil… ».  

Pourtant, l’enquête ne révèle rien de tout cela, au contraire. Affrété par la Lufthansa, l’hydravion est catapulté dans la soirée du samedi 28 juillet 1934 du paquebot allemand Europa en provenance de New-York avec pour mission d’acheminer à Brême le courrier du bord. Victime d’une grave erreur de navigation – le pilote se pense en mer d’Irlande ! – et de faux renseignements donnés par le paquebot Bremen, l’hydravion à court de carburant est contraint de se poser quelques heures plus tard, au petit jour, dans les eaux croisicaises, suscitant l’émoi que l’on sait.

Le paquebot Europa. Carte postale, collection particulière.

Alerté, le Ministère de l’Intérieur donne dans l’après-midi l’autorisation à l’infortuné appareil de décoller et, vers 17 h 15, l’hydravion peut enfin reprendre sa route. Reste néanmoins à savoir si les réactions auraient été les mêmes en présence d’un engin de nationalité belge, américaine, russe ou encore britannique. Il est bien entendu difficile de le dire mais force est néanmoins de constater à la lecture de la presse que ce curieux fait divers n’est pas totalement neutre. L’Echo de la Loire, qui dépêche pour l’occasion un envoyé spécial sur place, parle ainsi d’un « vif émoi ». Mais, plus intéressant encore, ce journal rapporte que l’hydravion doit repartir par la mer, n’ayant pas obtenu des autorités françaises l’autorisation de survoler le territoire.

Erwan LE GALL