Louis L'Hévéder, un socialiste à la conquête d'un département rural, le Morbihan

Louis L'Hévéder est probablement l'homme qui incarne le mieux les premiers succès électoraux socialistes dans le Morbihan de l'entre-deux-guerres, ce département étant alors traditionnellement marqué par ses votes conservateurs1. Pourtant, à peine quinze ans après avoir suscité l'enthousiasme du parti en devenant le premier député du département, il en est exclu en raison de son attitude controversée sous l'Occupation.

Le pont de la Concorde et la Chambre des députés. Carte postale. Collection particulière.

Louis L'Hévéder naît le 24 janvier 1899 à Minihy-Tréguier dans les Côtes-du-Nord. Ce fils de paysan est l'aîné d'une famille de onze enfants et rien ne le destine à une carrière politique. Mais une rencontre s'avère déterminante, celle de son instituteur. Ce dernier prend rapidement conscience des facultés du jeune Louis et le pousse à poursuivre ses études au moyen de bourses qu'il obtient sans difficulté. Il passe avec succès son baccalauréat à Lannion puis, en octobre 1919, il est reçu pour intégrer les promotions spéciales de mobilisés à Polytechnique et à l'Ecole normale supérieure. Son choix se porte rapidement sur cette dernière école : il intègre la rue d'Ulm et passe brillamment l'agrégation de mathématiques en 1922. Modèle de réussite de l'école républicaine, il fait donc le choix d'y consacrer sa carrière professionnelle, d'abord dans un lycée à Douai puis, rapidement, au lycée Dupuy de Lôme à Lorient.

A peine arrivé dans le Morbihan, il entame parallèlement une carrière politique. En 1925, il devient conseiller municipal à Lorient suite à la victoire du socialiste Emmanuel Svob. Cette même année, il est nommé secrétaire fédéral de la SFIO, à seulement 26 ans. Cette ascension rapide tient certainement aux réorganisations récentes rendues nécessaires suite à la scission, quelques mois plus tôt, avec les communistes. Quoi qu'il en soit, Louis L'Hévéder continue sa rapide progression en devenant conseiller général du canton de Pont-Scorff en 1929. L'année suivante, il devient le premier député socialiste du Morbihan, lors de l'élection partielle organisée suite au décès de Pierre Bouligand.

Cette victoire symbolique tient tout autant à la progression des votes socialistes dans la région lorientaise qu'à la personnalité du candidat. Dans un rapport adressé au ministre de l'Intérieur, le préfet insiste sur l'activité « débordante » du jeune candidat : « il a travaillé depuis des années les milieux ruraux entourant la ville de Lorient, passant dans toutes les fermes et employant tous ses moments libres à voir pour ainsi dire tous les électeurs un par un »2. Perçu comme un socialiste modéré, il est réélu aisément en 1932 puis en 1936. Il est alors le seul candidat du Front Populaire a être élu dans le département.

A la fin des années 1930, Louis L'Hévéder affirme de plus en plus ses positions pacifistes, notamment lors des accords de Munich. Le 10 juillet 1940, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain puis, il est désigné en 1941 au Conseil national de Vichy. Toutefois, il refuse d'y siéger tout comme il refuse, par principe, de signer l'engagement de non-appartenance à la franc-maçonnerie, pourtant exigé à tous les fonctionnaires. Exclu du lycée, il doit donc gagner sa vie en donnant des leçons particulières.

Les bombardements à Lorient. Carte postale, collection particulière.

En janvier 1943, Louis L'Hévéder quitte Lorient après que sa maison ait été détruite par les bombes alliées. Il décide alors de rejoindre Paris où il dispose d'un pied-à-terre. En août 1944, lorsque la capitale est libérée, l'ancien député, tuberculeux, est amoindri physiquement. Immédiatement désigné comme un traître, il est arrêté par les FFI à la fin du mois d'août et interné à l'Institut dentaire. Le capitaine Bernard, lors d'un interrogatoire procédé dans la nuit du 3 au 4 septembre, résume parfaitement ce que les Résistants communistes lui reproche : « Vous avez été munichois.... vous êtes un individu méprisable... vous êtes un ennemi de la Russie. Vous êtes un ennemi du parti communiste »3.

Finalement libéré, il est malgré tout abandonné par sa propre famille politique. Mis au ban de la SFIO, il adhère en 1945 au Parti socialiste démocratique fondé par Paul Faure dont il est resté proche. Mais ce retour est de courte durée puisque Louis L'Hévéder meurt le 9 octobre 1946 à Paris.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Sur ce point, voir RIVIERE, Christophe, « L'ancrage du socialisme dans un département rural breton : l'exemple du Morbihan de 1905 à nos jours », in BOUGEARD, Christian (dir.), Un siècle de socialismes en Bretagne : De la SFIO au PS (1905-2005), Rennes, PUR, 2015, p. 111-132 .

2 Arch. dép. du Morbihan, M 4725, rapport du préfet au ministre de l'Intérieur, 18 avril 1930.

3 Cité in BERLIERE, Jean-Marc, et LIAIGRE, Franck, Ainsi finissent les salauds,  Paris, Robert Laffont, 2012.