Moulin et Châteaulin

L’arrivée d’un nouveau sous-préfet en ville n’est, en 1930 comme aujourd’hui, pas de nature à faire les gros-titres de la presse locale. Certes, la crise budgétaire impose de drastiques économies et en 1926 de nombreuses sous-préfectures sont supprimées, rendant de fait les mouvements plus rares. Mais, encore une fois, nul ne songerait à considérer l’arrivée d’un nouveau représentant de l’Etat dans son arrondissement comme un évènement, fût-ce en Bretagne, fût-ce à Châteaulin, fût-ce Jean Moulin. Ce n’est d’ailleurs que bien des années après son départ que l’on s’attachera à rappeler le passage de ce jeune et brillant haut-fonctionnaire dans le Finistère.

Le tombeau contenant les cendres présumées de Jean Moulin, transférées au Panthéon le 19 décembre 1964, lors d'une cérémonie devenue célèbre par le discours d'André Malraux. Carte postale. Collection particulière.

Comme tous les hommes de ce milieu socio-professionnel, il alterne les postes dans les cabinets ministériels et, lorsque la conjoncture politique est moins favorable, les affectations en province en tant que représentant de l’Etat. Jean Moulin est un fidèle de Pierre Cot, un jeune turc radical qui deviendra, entre autres, Ministre de l’Air, ce qui l’amènera d’ailleurs à diriger son cabinet.

Pour autant, le sous-préfet qui vient tout juste d’arriver à Châteaulin en ce mois de février 1930 n’est assurément pas un homme comme les autres. Tout d’abord, et ce fait est suffisamment rare dans la société française de l’époque pour qu’il convienne de le noter, ce haut-fonctionnaire est un homme divorcé, ce qui ne manque bien évidemment pas de faire parler dans certaines paroisses de Bretagne où l’on sait l’influence des recteurs, et de la religion de manière générale, si forte. Mais ce détail biographique ne saurait résumer sa singularité. En effet, Jean Moulin est un homme de multiples talents et passions et son affectation dans le Finistère est l’occasion d’assouvir son amour des Beaux-Arts. C’est ainsi qu’il se lie d’amitié avec Saint-Pol-Roux et Max Jacob, deux éminents poètes résidant dans son département. Lui-même peintre à ses heures perdues, Jean Moulin signe ses œuvres du nom de Romanin et se servira même, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’une galerie d’art à Nice comme vitrine légale permettant de mieux camoufler ses activités clandestines et de ne pas trop attirer l’attention.

A Châteaulin, Jean Moulin fait la connaissance du maire de Locronan : Charles Danielou. Député, ministre, cet homme complexe, venu des ligues d’extrême droite mais converti au radicalisme à la suite de la Première Guerre mondiale, partage avec le jeune sous-préfet le goût des Lettres. Si le sous-préfet soutient l’homme politique engagé dans une réélection législative délicate, ce dernier influe grandement sur la carrière du jeune haut-fonctionnaire, lui conférant un sens politique dont il aura tant besoin, devenu Max.

A Châteaulin, le quai et le ont Jean Moulin. Carte postale. Collection particulière.

Bien évidemment, après la Libération, lorsque l’action de Jean Moulin sera connue, Châteaulin et la Bretagne ne tarderont pas à s’enorgueillir d’avoir accueilli le jeune sous-préfet. Lorsque celui-ci est panthéonisé le 19 décembre 1964, la fierté n’en sera d’ailleurs que plus grande. Pour autant, on aurait bien tort de ne considérer le passage de Jean Moulin à la sous-préfecture du Finistère que sous l’angle d’une captation de mémoire, l’homme étant viscéralement attaché à Saint-Andiol et à la Provence. En effet, il est difficile de comprendre l’action de Rex si l’on ne connait pas le rôle d’un préfet, qui est, dans un département donné, chargé de faire le lien entre le Gouvernement et les citoyens. Représentant de l’Etat, il doit en effet veiller à la bonne application de la politique décidée à Paris tout en informant la capitale de la réalité sur le terrain. Or c’est précisément ce qu’est l’action de Max pendant la Seconde Guerre mondiale, plaçant les mouvements de Résistance sous l’autorité du général de Gaulle tout en informant Londres des doléances de l’Armée des ombres. Une sorte de préfet de la clandestinité dont la carrière se prépare, entre autres, à Châteaulin.

Erwan LE GALL