Pour 10 balles t’as plus rien : des accords de Munich à la fausse monnaie

Le 15 novembre 1938, alors que la Cour d’Assises de Rennes s’apprête à juger Maurice Pilorge, une autre affaire agite le chef-lieu du département d’Ille-et-Vilaine. Deux hommes comparaissent en effet pour avoir tenté de falsifier des pièces de monnaie. Si le procès est bien moins médiatisé que celui du célèbre meurtrier, il n’en demeure pas moins intéressant puisqu’il faut « remonter à l'année 1910 pour retrouver le souvenir de l'évocation d'une affaire similaire devant les jurés d'Ille-et-Vilaine » rappelle Jean Tholome dans les colonnes de L’Ouest-Eclair1. Mais là n’est pas le seul attrait de ce procès. Alors que les grandes puissances viennent de se réunir à Munich, une telle escroquerie réactive une menace bien plus réelle, celle d’une tentative de déstabilisation de l’équilibre monétaire par une puissance ennemie.

François Duguay lors de son procès. Cliché: L'Ouest-Eclair.

Pour comprendre le profil des accusés, il convient de remonter le temps de quelques semaines. Le 21 avril 1938, François Duguay, un Auvergnat « transplanté » en Bretagne, et Henri Sauvage, originaire de Treffendel, sont « arrêtés au moment où ils tentaient d'écouler dans un café de Saint-Malo, des ampoules de cocaïne et d'adrénaline ». Âgés respectivement de 26 et 27 ans, les deux hommes n’appartiennent pas au grand banditisme. Fauchés, ils ont tout simplement tenté d’écouler des produits préalablement subtilisés à un médecin de leur entourage. Le délit ne leur vaut donc qu’une faible peine de six semaines d’emprisonnement par le tribunal correctionnel de Saint-Malo.

Mais ce n’est pas le trafic de stupéfiants qui attire l’attention de la justice. Au moment de son arrestation, François Duguay possédait une fausse pièce de 10 Francs dans l’une de ses poches. Des perquisitions sont immédiatement menées chez les deux individus. Les enquêteurs font la découverte, chez Henri Sauvage, « d'une pièce de soudure, d'une casserole ayant été utilisée pour gâcher du plâtre, d'un triple décimètre portant des traces de plâtre, d'un manuel de chimie marqué aux pages traitant de l'emploi des divers métaux et d'un fer électrique à souder ». Il n’y a pas de doute, les deux hommes se sont bien lancés dans la fabrication artisanale de fausses pièces de monnaie.

L'un et l'autre reconnaissent que, si « depuis quelques semaines, ils avaient convenu de fabriquer des pièces de monnaie », c’était seulement « pour faire des expériences » par « amour de l’art ». La réflexion ne manque pas de faire ricaner le tribunal qui a pu constater la médiocrité de leur travail, particulièrement visible sur le « dessin de l'envers ». Pas moins hilare, Jean Tholome précise qu’une « telle pièce donnée à un enfant de six ans l'eut fait sourire ». Évidemment, les enquêteurs ne sont pas convaincus par les motivations artistiques des escrocs dans la mesure où ces derniers « avaient fait connaitre à certains de leurs camarades leur projet de fabriquer de fausses pièces et d'en organiser la circulation ». Le substitut du procureur général réclame à ce titre une peine, « au minimum », de cinq années de réclusion.

Billet de banque. Collection particulière.

Un tel décalage entre la peine requise et l’ampleur de cette escroquerie digne, il faut le reconnaître, des « Pieds Nickelés », a de quoi surprendre. Pourtant, au regard du contexte international particulièrement troublé, les autorités se doivent de prendre cette affaire très au sérieux. Depuis de nombreuses années, les différents Etats craignent que leurs adversaires ne leur déversent massivement de la fausse-monnaie de façon à déstabiliser leur économie. Cette menace influence notamment le dessinateur Hergé lorsqu’il publie, quelques mois plus tôt, sa première version de L’Île Noire  durant laquelle Tintin est confronté à une bande internationale de faux-monnayeurs2. Comprenant les risques qu’il encourt, Henri Sauvage tente une dernière défense où il assure que,  s’il n’a « peut-être pas que des qualités », il a en revanche « toujours été Français et patriote » et qu’il n'aurait « jamais voulu faire tort à [sa] patrie en fabriquant de la fausse monnaie ». Leurs fréquentations et leur maladresse plaident finalement en leur faveur. Après « une très courte délibération », le jury acquitte les deux hommes.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « Par amour de l’art, deux jeunes gens avaient voulu imiter les pièces de 10 et 5 Francs », L’Ouest-Eclair, 16 novembre 1938, p. 7.

2 PIERRE, Michel, « Progrès : les faussaires en profitent », Les personnages de Tintin dans l’histoire, Historia, Hors-série, 2011, p. 72-77.