Qu’est-ce qu’être une « jeune fille d’aujourd’hui » en 1926 ?

L’implication totale de la société française dans la Grande Guerre fait accéder un grand nombre de femmes au monde du travail, ainsi qu’à des responsabilités professionnelles, dont elles étaient bien souvent écartées jusque-là. D’ailleurs, au cours du conflit, des revendications féministes ne manquent pas de se faire entendre, si ce n’est pour réclamer le droit de vote, au moins pour demander : « quelle sera la place des femmes après la guerre ? » Justement, dans son édition du 11 mars 1926, le quotidien L’Ouest-Eclair donne la parole à un professeur de l’université de Fribourg, Max Turmann, qui en s’appuyant sur toute une série d’enquêtes, cherche à mieux comprendre « le changement qui s’est opéré en ce quart de siècle, et surtout depuis la guerre » dans les attitudes et les aspirations de la nouvelle génération de jeunes filles, celles qui n’étaient encore que des enfants pendant la guerre et qui sont devenues adultes depuis la fin des hostilités.

Groupe de jeunes femmes en 1926. Carte-photo. Collection particulière.

Au jeu des qualités et des défauts, les ainé.e.s se plaisent bien souvent à trouver à redire sur l’attitude de la nouvelle génération féminine. Ainsi, « les jeunes filles de maintenant ont relativement peu le sens de l’obéissance et du respect ; elles critiquent facilement parents et supérieurs, les trouvent volontiers égaux. » L’apparence physique est également sujette à critiques. Bien que l’on soit encore loin du look punk, « la tête de garçon, [et les] robes courtes » ne peuvent qu’engendrer des « gestes brusques, [une] démarche balancée, [un] langage libre [et des] camaraderies. »

Pourtant, loin de n’être que le porte-voix d’une vision conservatrice de la société, l’universitaire invite le lecteur breton à se méfier des apparences et des raccourcis :

«  Chaque époque a sa mentalité propre et c’est ce que ne comprennent pas toujours suffisamment les gens d’un certain âge qui désirent cependant exercer une action bienfaisante sur leur milieu.
La jeunesse féminine, il y a vingt-cinq à trente ans, avait d’autres qualités et d’autres défauts que les jeunes filles d’aujourd’hui. »

A l’appui de ces propos, il cite un exemple rapporté dans les Dossiers de l’Action Populaire :

« Ainsi ai-je vu, en l’un de nos couvents, trois postulantes aux cheveux courts, ce qui ne les rendait pas les moins ferventes du noviciat. »

En outre, ces jeunes filles d’après-guerre semblent dotées de qualités supplémentaires par rapport aux générations précédentes : « Elles sont débrouillardes et ne s’embarrassent pas facilement. C’est là un avantage dont il convient de profiter ». Cette « indépendance » manifestée par les jeunes filles est probablement l’une des conquêtes féminines de la Grande Guerre. Les femmes prouvent alors qu’elles peuvent gérer seules.

Un mariage en 1926. Carte-photo. Collection particulière.

D’ailleurs, au sein même des rapports de couple, un certain nombre de jeunes filles catholiques interrogées « tiennent à être considérées, non comme des enfants gâtés, mais comme des collaboratrices, et à être tenues au courant des préoccupations de leurs maris ». Toutefois, ne nous leurrons pas : l’article date de 1926. Nous sommes ici face à des changements de degré et non de nature dans les rapports mari-femme. Ces jeunes catholiques qui « désirent épouser des catholiques pratiquants » continuent à penser que « le but du mariage est d’avoir et d’élever des enfants ». En revanche, en ce qui concerne le choix de leur mari, elles entendent qu’on « ne se fie pas aveuglément à [leurs] parents. [Qu’]on ne se laisse plus marier. » Au final, par bien des égards, être une « jeune fille d’aujourd’hui » en 1926, du point de vue du quotidien catholique rennais, c’est adhérer à la formule du changement dans la continuité.

Thomas PERRONO