Un zoo humain à Rennes

L’Exposition coloniale internationale qui se tient à Paris du 6 mai au 15 novembre 1931 constitue une sorte d’acmé du sentiment impérial français, moment où s’exprime avec le plus de force ce que l’historien A. Ruscio appelle « le credo de l’homme blanc »1. Pendant des semaines, divers pavillons présentent à plus de 300 000 spectateurs des visions folklorisés des modes de vie asiatiques , caribéens et africains, certaines installations relevant de ce qu’il convient bien d’appeler de véritables zoos humains.

Le Marabout. Photographie publiée le 1er mai 1929 par L'Ouest-Eclair pour illustrer la venue d'un « village nègre » à Rennes.

Si cette Exposition coloniale internationale est connue – et a suscité une riche bibliographie – d’autres événements, en tous points semblables quoique de bien plus modeste envergure, restent eux largement méconnus. Pourtant, ces expositions coloniales en réduction présentent des mises en scène comparables et rencontrent elles aussi, ce qui est une dimension essentielle, un large succès. Tel est par exemple le cas du « village nègre » qui s’installe à Rennes, à la fin du mois d’avril 1929.

Campant en plein centre-ville, sur la place Hoche, dans « des huttes de paille », ceux qui sont présentés comme des « Soudanais », mais également aussi comme des « Sénégalais »2, font l’objet de commentaires de L’Ouest-Eclair où s’exprime tout le répertoire de la condescendance coloniale, entre conditions de vie particulièrement précaires et stéréotypes associant ces peuples « fraichement civilisés » à de grands enfants :

« La pluie transforma leur village en cité lacustre ; on y pataugeait dans une boue jaunâtre et les soudanais qui se promenaient pieds nus prirent maints bains involontaires. Et, chose plus grave, les ondées transpercèrent le chaume qui abrite les couvertures où dorment les nègres… Ceux-ci n’en perdirent pourtant point leur sourire. Tout le jour ils montrèrent leurs dents si blanches aux visiteurs, tout heureux quand de gros sous tombaient dans leur sebile. Et les marmots qui s’accrochent aux passants en tendant leurs menottes crasseuses – Un sou, moussier, pour chercher bonbon ! – ne s’inquiétèrent guère non plus de la pluie. »3

Avec le beau temps affluent les visiteurs qui se pressent en masse pour assister à ce qui est compris comme un spectacle. Il est vrai que la venue de ce « village nègre » coïncide avec la tenue de la foire exposition, ce qui permet de drainer une foule impressionnante : 2 300 personnes dans la seule soirée du vendredi 3 mai 19294. Des visites sont même spécialement prévues pour les scolaires !5 Et c’est le mythe « du bon sauvage » qui leur est alors présenté : « Placides et simples, ignorants de toute civilisation, de toutes les complications que la vie moderne impose aux blancs, ces hommes se présentent primitifs et heureux »6.

Enfants dansant sur le podium. Photographie publiée le 1er mai 1929 par L'Ouest-Eclair pour illustrer la venue d'un « village nègre » à Rennes.

Venant d’Arras et s’installant à Rennes dans le cadre d’une « tournée de propagande franco-coloniale, pour l’exposition coloniale de 1931 »7, les hommes de ce « village nègre » demeurent des inconnus. Jamais individués – nul article ne leur attribue ne serait-ce qu’un embryon d’identité, ils sont juste réduits à leur couleur de peau et à leurs mœurs « primitifs » – nul ne sait qui ils sont ni quel fut leur destin. Ne restent que quelques clichés, dans tous les sens du terme.

Erwan LE GALL

 

1 RUSCIO, Alain, Le credo de l’homme blanc, Bruxelles, Complexe, 2002.

2 « Au village nègre », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10048, 2 mai 1929, p. 6.

3 « Le village nègre sous la pluie », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10046, 30 avril 1929, p. 4.

4 « Au village nègre », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10050, 4 mai 1929, p. 4.

5 « Au village nègre », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10048, 2 mai 1929, p. 6.

6 « La foire-exposition de Rennes a ouvert hier ses portes », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10044, 28 avril 1929, p. 5.

7 « Une vision d’Afrique place Hoche », L’Ouest-Eclair, 30e année, n°10041, 25 avril 1929, p. 5.