Retour(s) de guerre

Le 11 novembre 1918 n’est pas la fin de la guerre mais la fin des combats sur le front de l’Ouest. Les commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale ne sauraient donc pas s’arrêter à 2018. Dans plusieurs lieux d’exposition, c’est la situation après l’armistice des alliés avec l’Allemagne qui fait l’objet d’un nouvel éclairage. Le musée de l’Armée, à Paris, observe, « À l’est, la guerre sans fin » (jusqu’au 20 janvier 2019), dans une perspective plus diplomatico-militaire. À la mairie de Versailles a été présentée l’exposition « Versailles aux lendemains de la victoire de 1918 » (du 2 au 19 novembre 2018). Le centre des archives de Bordeaux métropole aborde un objet de mémoire, le monument aux Morts, avec « Mémoire de pierre de la Grande Guerre » (jusqu’au 26 avril 2019).  C’est également cette thématique qu’ont retenue les Archives départementales du Morbihan. Au-delà de ces considérations militaires, diplomatiques et mémorielles, le service culturel des Archives départementales de Loire-Atlantique s’est intéressé aux conséquences sociales du conflit après le 11 novembre 19181. Il complète ainsi la précédente exposition sur la Première Guerre mondiale, qui s’était déroulée en 2014 et qui avait été consacrée à l’expérience combattante.

Carte postale. Collection particulière.

Georges Clemenceau confie, le soir de l’armistice : « nous avons gagné la guerre et non sans peine. Maintenant, il va falloir gagner la paix, et ce sera peut-être encore plus difficile ». À travers un fil chronologique matérialisant dans les légendes les jours, les mois, les années qui séparent de l’Armistice les événements présentés, c’est une plongée dans la difficile transition vers les temps de paix que propose l’exposition. Le visiteur s’en rend compte de deux façons : à travers le récit de quelques journées marquantes en Loire-Atlantique, jusqu’au 28 août 1919 et la rentrée à Nantes des 51e et du 251e régiment d’artillerie, et à travers les portraits d’acteurs représentatifs : le soldat démobilisé, le soldat prisonnier allemand ou français, le soldat américain, le réfugié, l’interné, le corps du soldat mort.

Alors qu’interviennent ces « migrations de la paix » plus ou moins désorganisatrices (ce sont des millions de personnes qui sont concernées), le Conseil général de Loire-Inférieure confie à l’archiviste départemental Émile Gabory la mission de recueillir auprès des communes les conséquences connues de la guerre. Ce travail de synthèse est publié en 1923 sous le titre Les enfants du pays nantais et le XIe corps d’armée, préfacé par le maréchal Foch. Il est plus connu sous le nom de Livre d’or de la Loire-Inférieure. Une salle est consacrée à cette œuvre originale. Le visiteur y trouve des éléments sur l’édification des monuments aux morts et le mémorial virtuel des morts pour la France « La Loire-Atlantique se souvient ». Nous ne pouvons que l’inviter à parcourir la datavisualisation qui est proposée sur la table tactile, très riche en informations. La pièce « Le cauchemar du poilu », conçue par l’agence SAGA pour faire ressentir grâce à un dispositif immersif le cauchemar des souvenirs de guerre (essentiellement sonores), laisse plus perplexe.

Carte postale. Collection particulière.

Le retour au foyer signifie le retour à la vie civile et au travail. Les « réparations » physiques sont les mieux abordées, avec quelques objets et un film. Elles matérialisent le plus visuellement toute cette solidarité que l’État et les associations d’anciens combattants mettent en œuvre pour faciliter la vie des poilus marqués dans leur chair. Les autres aspects de la vie des anciens soldats (en nombre évidemment restreints) sont racontés de façon synthétique et très claire.

Le retour à la normale ne peut toutefois pas faire abstraction des années passés à se faire la guerre : un nouveau groupe social apparaît (les anciens combattants, même si on connaissait déjà ce groupe avec la guerre de 1870), de nouveaux statuts sont adoptés (pupille de la Nation, veuve de guerre…). C’est une entrée dans les années 1920 qui est mise en perspective par rapport au conflit passé. La coupure avec la période de guerre reste moralement périlleuse, comme le rappelle la reprise du carnaval de Nantes en 1919, vertement critiquée dans une lettre adressée au maire. Les influences américaines sont également évoquées, avec la prudence désormais de mise, notamment depuis le déroulement du colloque nazairien de juin 2018 « Voilà les Américains ! les États-Unis en France et en Europe, 1917-1920 » (actes en cours de publication).

Une dernière salle présente le face-à-face entre Georges Clemenceau et Aristide Briand, deux hommes d’État ayant des liens forts avec Nantes et une action essentielle au moment de la paix. Quoi de plus logique donc que de présenter, en guise de conclusion, le diplôme du prix Nobel de la paix d’Aristide Briand (à défaut de la médaille volée il y a quelques années), pour ses efforts en faveur de la paix dans les années 1920.

Carte postale. Collection particulière.

L’exposition est accompagnée d’une riche programmation de conférences ainsi que de projections de films et de documentaires. Des visites guidées sont organisées tous les dimanches, avec un certain succès d’affluence depuis quelques semaines2. Ce n’est que rendre justice à l’ambition de cette exposition, qui sait ne pas perdre le visiteur dans la multitude des sujets évoqués.

Johan VINCENT

Retour(s) de guerre, exposition au centre des Archives départementales de Loire-Atlantique, du 17 octobre 2018 au 7 avril 2019.

 

 

 

 

1 Le centre des Archives départementales du Bas-Rhin explore également cet aspect social de l’après-guerre à travers l’exposition « 1918-25, les Alsaciens, paix sur le Rhin ? » (jusqu’au 31 mars 2019).

2 Je remercie la médiatrice Bénédicte pour m’avoir présenté l’exposition et avoir répondu à quelques-unes de mes questions.