Un immense écrivain

Pourquoi parler dans ces colonnes d’un roman présenté comme « une réécriture déjantée d’OSS 117 » ? Parce que c’est d’Orgasme à Moscou dont il s’agit, le dernier livre d’Edgar Hilsenrath, et que celui-ci sort demain, le 4 avril.

Cela fait déjà un certain nombre d’années que la science historique a compris qu’elle tient en la littérature un gisement extraordinaire de sources permettant de mieux saisir le passé. Bien entendu, tout n’a pas été simple comme en témoignent les polémiques entourant les travaux de Jean Norton Cru sur les témoignages de la Première Guerre mondiale. Pour ne parler que de la déportation et du système concentrationnaire nazi, les œuvres de Jorge Semprun, Charlotte Delbo ou encore Primo Lévi sont de véritables monuments reconnus par tous. Autre écrivain majeur, Hans Fallada a été évoqué en janvier dernier pour son magnifique Seul dans Berlin dans le cadre d’une semaine de la Fabrique de l’histoire consacrée à la Résistance au nazisme et fut le sujet, la même semaine et sur la même antenne, de l’excellente émission Une vie, une œuvre.

Le Nazi et le Barbier, publié par les éditions Attila.

Pourtant, de manière très surprenante, quand vient le moment de parler des plus grands écrivains de la Seconde Guerre mondiale, jamais ou presque n’arrive le nom d’Edgar Hilsenrath. Cela nous semble éminemment regrettable. Nuit est en effet un absolu chef d’œuvre, d’une noirceur inouïe, qui décrit admirablement la survie dans les ghettos d’Europe de l’est. Autobiographique, cet ouvrage est probablement aussi incontournable que les chroniques du ghetto de Varsovie écrites par Adam Czerniakow et Emmanuel Ringelblum. Le Nazi et le barbier est tout simplement le roman le plus génialement brillant de ma bibliothèque : un monument picaresque qui mène le lecteur des décombres de la Destruction des juifs d’Europe à la création de l’état d’Israël, une farce tragique où l’absurde côtoie quotidiennement la plus immonde abjection, le tout dans un style merveilleusement enlevé.

Egalement très autobiographique, Fuck America est une passionnante chronique satirique de la vie des survivants des camps dans le New-York des années 1950. Bref, il y a de tout dans la plume d’Hilsenrath : du Céline, du Buckowski, du Cerventès, du Hubert Selby…

Aussi vous comprendrez que je ne peux qu’encourager la lecture des romans de cet injustement méconnu Edgar Hilsenrath, immense écrivain qui assurément figure en tête de mon panthéon littéraire personnel. Donc si vous cherchez à me contacter demain, ne vous étonnez pas si je ne réponds pas. Mon programme est déjà établi : ouverture de mon libraire favori à 10 heures puis lecture à tambour battant de cet Orgasme à Moscou !

Erwan LE GALL