1939: Derrière Joffre, Pétain ?

Il est des dates à propos desquelles, après coup, il est aisé de se dire qu’elles sont très symboliques. Tel est le cas par exemple du 17 juin 1939 : la France est en paix et la Bretagne se prépare à une saison touristique exceptionnelle, période qui sera notamment marquée par le Tour de France cycliste, épreuve reine. Mais l’on sait aussi que, quelques semaines seulement plus tard, la France entre dans ce qui n’est d’abord qu’une drôle de guerre, puis sombre dans la débâcle d’une campagne fulgurante. 17 juin 1940 : jour du premier combat d’un ancien sous-préfet de Châteaulin devenu préfet d’Eure-et-Loir, veille de l’appel lancé par un certain Charles de Gaulle...

Alors bien entendu, en ce 17 juin 1939, les esprits ne sont pas complètement légers. Il suffit de lire la presse pour s’en rendre compte. La situation internationale est extrêmement grave et les accords de Munich paraissent bien loin. A Rennes, L’Ouest-Eclair tente de se rassurer en proclamant « l’effondrement économique des dictatures » et en concluant que « l’homme ne saurait vivre dignement que sous un régime de liberté organisée, équilibrée et disciplinée ».

Carte postale. Collection particulière.

A Paris, la presse nationale n’est pas en reste et L’Illustration datée du 17 juin 1939 montre bien combien la France, victime sans doute de l’ombre portée de la Première Guerre mondiale, manque de lucidité. En effet, le célèbre magazine, qui tire tout de même à 200 000 exemplaires, consacre sa couverture à Joseph Joffre, le généralissime de 1914, l’homme du miracle de la Marne, dont on vient d’inaugurer la statue devant l’Ecole militaire. Avec le recul, un an avant jour pour jour avant que le maréchal Pétain assure « faire le don de sa personne à la France pour atténuer son malheur », un tel choix éditorial ne manque pas de saveur: réactiver le souvenir de Joffre, comme pour mieux se rassurer en ces troubles temps...

Le texte, pour ne pas dire le panégyrique, que publie Jean Fabry – qui fut un proche collaborateur du vainqueur de la Marne en 1917-1918 – dans ce même numéro de L’illustration est lui aussi d’un grand intérêt en ce qu’il témoigne de la force du véritable culte de la personnalité qui entoure Joffre1. Quelque part, cet article se situe dans la droite ligne de certaines publications des années 1914-1918 marquées du sceau de la culture de guerre. Mais, puisque ce texte est publié le 17 juin 1939, on ne peut manquer de constater combien il semble porter en lui les germes du culte d’un autre maréchal de France… :

« Car cet homme, si près du peuple, cœur à cœur avec lui, était un chef incomparable, le plus grand parmi les grands. Il avait le sens de l’autorité et le goût des responsabilités. Confiant dans un équilibre naturel indestructible, il allait au-devant d’elles. »

Carte postale. Collection particulière.

Certes, il est méthodologiquement contestable d’examiner un évènement historique quel qu’il soit à la lumière de ce qui se passe après. Mais ici, le choix de placer Joffre en couverture de l’un des plus grands magazines français, un an jour pour jour avant la défaite de juin 1940, permet d’illustrer d’une part combien la France est prisonnière du souvenir de la Première Guerre mondiale avant d’entamer la Seconde et, surtout, avec quelle rapidité fulgurante s’enchainent les évènements jusqu’à l’effondrement du pays.

Erwan LE GALL

 

1 FABRY, Jean, « Le maréchal Joffre : l’homme et le chef », L’Illustration, n°5 024, 17 juin 1939, p. 266.