Retour sur 68

S’il est bien un sujet de conversation qui risque d’enflammer un paisible déjeuner dominical de famille, c’est bien 1968. De ces discussions parfois houleuses peuvent être tirés trois enseignements.

Tout d’abord, le « moment 68 » est toujours perçu comme une rupture, jamais comme une simple parenthèse de quelques semaines. Pour certains c’est le début du progrès et d’un vaste mouvement de libéralisation de la société, tandis que pour d’autres, au contraire, c’est à partir de là que « tout fout le camp ». Qui n’a jamais entendu fustiger les « vieux soixante-huitards » coupable de tous les maux ? C’est le second constat qu’amènent ces discussions sur 68, celui de débats vifs qui relèvent plus d’un discours idéologique que d’une mise en perspective historique. L’événement est jugé – positivement ou négativement, c’est selon – mais jamais mis en perspective en terme de ruptures et de continuités, voire de parenthèse. Enfin, la controverse ne s’attarde qu’exceptionnellement en dehors des frontières nationales, comme si 1968 était un événement franco-français. Or, comme le rappelait très judicieusement J.-F. Sirinelli dans un numéro anniversaire d’Histoire@Politique, ce « moment » est bel et bien un objet d’histoire mondiale.

68 est en effet un événement globalisé non pas tant du point de vue de l’écho des manifestations germanopratines – à la différence du retentissement de l’assassinat de Kennedy, du 11 septembre ou encore de du premier pas sur la Lune qui sont de ce point de vue des événements mondiaux – que parce que partout ou presque sur la planète surgissent des mouvements contestataires. C’est là tout l’intérêt de la journée d’études que proposent le CERHIO et le CRAPE, celui d’envisager 1968 loin de la Sorbonne et de Berkeley, mais en Amérique du Sud avec des communications portant sur le Chili, l’Argentine ou encore le Brésil.

Cette mise en perspective nous semble d’autant plus importante que, quel que soit le jugement que l’on peut par ailleurs porter sur le message politique de 1968, cette année a ceci de remarquable qu’elle est un jaillissement extraordinaire de contestations multiples, à l’échelle, ou presque, de la planète. Or c’est précisément cette dimension qui doit interroger puisque la coïncidence est ici exclue : pourquoi, en maints pays du monde, les jeunesses se lèvent en même temps et ceci sans lien apparent contre les ordres établis ? Ce questionnement nous semble d’autant plus actuel qu’il n’est pas sans rappeler le printemps arabe, vague de contestations sans doute trop rapidement attribuée aux seuls réseaux sociaux.

La journée d'études Le moment 68 en Amérique du Sud se tiendra le 30 mai prochain, à l'Institut d'études politiques de Rennes.

Erwan LE GALL