Des Bretons comparaissent devant le tribunal de guerre du Reich

La première idée qui vient en tête lorsque l’on songe au IIIe Reich n’est probablement pas celle de justice. C’est  pourtant l’un des grands paradoxes du régime nazi que d’avoir longtemps agi avec le souci d’un cadre légal, tout du moins affectant une certaine apparence de légalité, et donc de normalité. C’est d’ailleurs un des grands mérites du travail d’Auguste Gerhards sur les victimes françaises du tribunal de guerre du Reich (ReichskriegsgerichtRKG), ouvrage publié par Le Cherche-Midi avec le soutien de la Direction de la mémoire du patrimoine et des archives du Ministère de la Défense – que de le rappeler1. La justice rendue par cette juridiction est en effet d’une extrême sévérité, la dissuasion et la peur étant au cœur de la logique de cette cour. La situation est telle « qu’on en arrive à une simplification grotesque et barbare du droit pénal » (p. 52) selon les termes mêmes de l’auteur.

Soldats de la Heer. Carte postale. Collection particulière.

Un autre intérêt de ce volume, qui en définitive se présente sous la forme d’un dictionnaire biographique agrémenté d’une intéressante préface contextualisant les notices, est de retracer le parcours des victimes de ce tribunal de guerre du Reich, plus haute cour de justice de l’état national-socialiste (p. 25). Aussi, il n’est sans doute pas excessif de considérer cet ouvrage comme une sorte de chainon manquant complétant les travaux pionniers de Serge Klarsfeld ou le Livre-mémorial de la déportation partie de France de la Fondation pour la mémoire de la déportation.

Composé à partir d’archives retrouvées à Prague, ce livre intéressera toutes celles et ceux qui travaillent sur la Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale. En effet, nombreux sont les Bretons ou les personnes arrêtées dans la péninsule armoricaine y figurant. Celles-ci peuvent d’ailleurs être  réparties en deux groupes.

Le premier concerne les prisonniers ayant eu au cours de leur captivité maille à partir avec la justice. Notons de surcroît que ce type de trajectoire n’est pas ce qui surprend le plus dans la mesure où le tribunal de guerre du Reich est une cour de justice militaire. L’autre cas de figure que l’on trouve fréquemment dans ce dictionnaire concerne les membres du réseau Alliance, réseau de Résistance aujourd’hui largement tombé dans l’oubli. Fondée par Georges-Loustaunau-Lacau immédiatement après l’armistice puis dirigé par Marie-Madeleine Fourcade, cette organisation clandestine regroupe environ 3 000 agents, dont un certain nombre en Bretagne, se consacrant essentiellement au renseignement, à l’aide à l’exfiltration de détenus et à la recherche de terrains d’atterrissage en vue de parachutages (p. 147). La trahison d’un haut responsable – Jean-Paul Lien – de l’organisation conduit à l’arrestation de 150 membres à l’automne 1943, individus dont une partie est jugée lors d’un spectaculaire procès devant le tribunal du Reich en juin 1944 à Fribourg-en-Brisgau2. Parmi ces personnes figurent notamment le rennais Raymon Hermer (p. 307), le brestois Joël Lemoigne (p. 354), ou encore le morbihannais Yves Rigoine de Fougerolles (p. 419).

A Prague, une partie des archives utilisées par Auguste Gerhards pour cet ouvrage. Cliché Cherche midi.

Cet ouvrage risque donc de prendre dans les mois qui viennent une place incontournable dans la bibliographie concernant l’histoire de la répression nazie en Bretagne. Pour autant, son apport dépasse certainement ce strict cadre régional. En effet, il rappelle toute la complexité du système répressif du IIIe Reich en ajoutant un échelon aux structures plus connues telles que le Sipo-SD. Ce faisant, il expose bien combien la brutalité et la violence aveugles sont au cœur du système nazi.

Erwan LE GALL

 

GERHARDS, Auguste, Tribunal de guerre du IIIe Reich. Des centaines de Français fusillés ou déportés. Résistants et héros inconnus. 1939-1945, Paris, Le Cherche Midi, 2014.

 

 

1 GERHARDS, Auguste, Tribunal de guerre du IIIe Reich. Des centaines de Français fusillés ou déportés. Résistants et héros inconnus. 1939-1945, Paris, Le Cherche Midi, 2014.  Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 GUILLON, Jean-Marie, « Alliance », in MARCOT, François (avec la collaboration de LEROUX, Bruno et LEVISSE-TOUZE, Christine), Dictionnaire historique de la Résistance, Paris, Robert Laffont, 2006, p. 144.