Et la Normandie alors ?

Qui aime la Bretagne s’intéresse nécessairement… à la Normandie tant les deux régions sont proches, et pas uniquement du fait d’une rivalité mise en exergue par une sympathique tradition de taquinerie mutuelle ! C’est donc avec la plus grande impatience que nous attendions ce volume de la revue Etudes normandes1, actes d’un colloque sur la Normandie dans la Grande Guerre survenu les 16 et 17 mai 2014, soit au lendemain d’une autre grande manifestation ayant elle pour objet la Bretagne et les Bretons. Et, inutile de ménager le suspense, il s’agit d’un volume qu’il est important de connaître.

Carte postale. Collection particulière.

L’un des grands intérêts de ce numéro est en effet d’insister sur certaines spécificités normandes qui, par ricochet, éclairent le cas breton. Ainsi, si les deux régions sont toutes les deux confrontées à la difficile question des réfugiés, venus tant de Belgique que des départements du Nord et du Pas-de-Calais occupés, celle-ci revêt sans doute une importance particulière en Normandie. Et c’est notamment le cas en ce qui concerne les premiers puisque, proximité géographique oblige, les relations avec le plat pays sont nombreuses à la Belle époque. Ainsi, Mickaël Amara rappelle que, chaque année, de nombreux saisonniers flamands viennent prendre part, notamment, à la culture de la betterave (p. 47). La situation créée par la guerre est donc probablement moins inédite qu’en Bretagne même si, là aussi, l’accueil n’est pas toujours aussi chaleureux que ce que suggère l’Union sacrée (p. 54). Néanmoins, la présence du Gouvernement belge en exil à Sainte-Adresse, dans la banlieue du Havre, constitue assurément une spécificité qu’il faut noter en ce qu’elle laisse l’image d’une communauté d’exilés ayant vécu en vase-clos, relativement coupée des réalités de la guerre et uniquement préoccupée, ou presque, par des enjeux de politique… intérieure (p. 50).

L’article de Philippe Nivet permet lui de mettre en relief le port de Dieppe, porte d’entrée de nombreux réfugiés français rapatriés, sorte d’équivalent maritime du rôle que peut avoir la ville d’Annemasse en Savoie (p. 34). Comme en Bretagne, on trouve en Normandie de nombreux réfugiés dans les stations balnéaires du littoral à tel point que le tourisme peut créer l’illusion d’un monde hors du conflit. C’est ce que rappelle ainsi le Bonhomme normand qui note en 1914 que les plages de Trouville « retrouvent ainsi, du fait de la guerre, l’animation que la guerre leur avait fait perdre » (p. 37). D’ailleurs, comme dans la péninsule armoricaine, l’accueil généreux ne tarde pas à laisser la place à des réactions beaucoup moins xénophiles (p. 41 et suivantes).

Carte postale. Collection particulière.

Pour autant, entre Sainte-Adresse et Dieppe, se dessinent deux localités qui constituent autant de situations particulières qui disent bien un manque important de ces actes. Si le colloque dresse de nombreux panoramas passionnants sur des aspects propres à la région – on pense ainsi aux articles concernant Rouen, grand port de guerre (par Jacques Delécusse) et base britannique (par Jean-Pierre Chaline) – ce numéro ne dit finalement rien, ou presque, de ce qu’est être Normand dans la Grande Guerre. Or la question nous semble d’autant plus intéressante qu’entre un port comme Cherbourg, dont il faut sans doute rappeler qu’il dépend de la 10e région militaire dont le siège se trouve à Rennes, et des villes comme Rouen, Caen et Evreux, il y a d’importantes disparités. Mais sont-elles pour autant comparables à la dichotomie entre haute et basse Bretagne pendant la Première Guerre mondiale ?

La question reste posée même si pour Olivier Feiertag, dans un excellent article sur les emprunts nationaux qui justifie à lui seul que l’on se procure cette revue, la mobilisation financière dépend moins de spécificités locales de types « comportementales » qu’organisationnelles. En effet, en Normandie comme ailleurs, « le choix de souscrire aux emprunts de guerre relève autant d’un calcul rationnel que d’un sentiment patriotique » (p. 77). Ce qui joue, en réalité, c’est la densité du maillage bancaire et la maîtrise du crédit régional, dispositif reliant « les besoins de financement de l’Etat-nation aux ressources des petites patries » (p. 79). Et l’on reste dès lors d’autant plus dubitatif devant la démarche du Journal de Rouen appelant à la mobilisation de l’épargne des Normands pour l’effort de guerre puisque cet organe de presse tente de stimuler la fierté régionale en osant une comparaison… avec la Bretagne (p. 72).

Ce type de carte postale existe pour toutes les garnisons de France avant 1914 ce qui, nécessairement, pose la question de la spécificité régionale. Colletion particulière.

Bien entendu, ce volume d’Etudes normandes ne fait pas le tour de cette immense question qu’est celle de la Normandie dans la Grand Guerre. Le propos ne concerne ainsi que peu les départements de l’Orne, de l’Eure ou même de la Manche tandis que les dimensions militaires sont pour leur part, presque entièrement tues. Il n’empêche que l’on aurait tort de ne pas s’attarder sur cette passionnante lecture qui, à l’instar de l’article d’Olivier Feiertag, ouvre de réelles perspectives. Enfin, on ne saurait terminer cette – trop – courte recension sans évoquer l’article inaugural de Stéphane Audoin-Rouzeau sur le centenaire de la Première Guerre mondiale : si cette plume aiguisée fera très certainement grincer de nombreuses dents, il n’en demeure pas moins que le constat qu’elle dresse est loin d’être sans fondements.

Erwan LE GALL

« La Normandie dans la Grande Guerre », Etudes normandes, 63e année, 2014/2.

 

 

1 « La Normandie dans la Grande Guerre », Etudes normandes, 63e année, 2014/2. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.