Expliquer Maurice Digo

Curieux petit livre qu’Yves Jaouen consacre à un poilu nantais, Maurice Digo1. Publié aux éditions Opéra, ce volume se présente en effet comme le commentaire de carnets conservés par les Archives municipales de Nantes, mais qui ne sont pas reproduits dans l’ouvrage en question ! Seuls des extraits et citations – il est vrai nombreux – sont disponibles, ce qui ne manque pas de laisser le lecteur désireux d’approfondir  la question sur sa faim. Car contrairement à ce que laisse entendre l’auteur, il ne semble pas qu’une épreuve dactylographié de 258 pages constitue un texte trop volumineux pour être publié (p. 4). Les conséquents carnets d’Edouard Cœurdevey en sont ainsi une brillante illustration.2

Extrait des carnets de Maurice Digo. Archives municipales de Nantes.

Autre sujet de curiosité, l'oganisation choisie par Yves Jaouen pour ce volume. En effet, il n’est pas totalement illogique d’adopter un plan chronologique, débutant en l’occurrence en 1915 puisque Maurice Digo est exempté par le Conseil de révision en 1913, récupéré en octobre 1914 et finalement envoyé aux armées en mars 19153. On peut certes regretter ce choix qui passe sous silence les quelques mois de classes effectuées à Carcassonne en la caserne du 146e RI mais il y a là une décision qui se tient. En revanche, il est difficile de masquer son étonnement lorsqu’on découvre que ce qui devrait en toute logique être le premier chapitre n’est en réalité que le second, et qu’il est de surcroît précédé de considérations sur les permissions pendant la Grande Guerre ! Si, encore une fois, le propos n’est pas sans intérêt, son insertion dans la structure générale du livre n’est pas sans créer une certaine confusion pour le lecteur.

Pourtant, on aurait tort de ne pas ouvrir ce petit ouvrage, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour le spécialiste ou le passionné de la Première Guerre mondiale, la découverte d’un témoignage est toujours un moment exceptionnel. Ce sont à chaque fois de nombreuses promesses de nouvelles perspectives d’analyse que recèlent ces textes et, il faut bien l’avouer, ce sont bien ces instants de découverte qui font pour partie le sel de la discipline. Ainsi ce passage que l’on aurait pu sans hésitation attribuer à la plume de Jean Norton Cru : « Il faut bien reconnaitre que le combattant a favorisé la diffusion de cet état d’esprit par le récit d’actes héroïques, plus conformes à la littérature de Presse qu’à la simple réalité, mais il est tout de même choquant de constater que le simple exposé des évènements, objectif et sans artifices soulève la réprobation unanime, à moins qu’il provoque un sentiment irritant d’indulgence, de condescendante pitié » (p. 13).

Mais le lecteur moins pointu trouvera également son compte avec cet ouvrage puisqu’il permet de découvrir la guerre de cet architecte de 22 ans qui apprend la nouvelle de la mobilisation générale lors de son mariage, le 1er août 1914 (p. 7). On est saisis par certaines phrases qui trahissent bien le désespoir du poilu, comme en ce dimanche de février 1917 : « Nous emportons une haine farouche pour cet ARRIERE notre seul ennemi » (p. 14). Dans ces cas-là, l’alcool devient un réconfort profond puisque « le vin coule jusqu’à épuisement des porte-monnaie » (p. 41). Enfin, l’un des grands moments de ce témoignage est incontestablement cette description, en mars 1918, des gaz de combat : « Ayant un instant retiré le masque, je perçois différentes odeurs : menthe, ail, moutarde (dominante), jus de carotte » (p. 68).

Autoportrait de Maurice Digo figurant dans ses carnets. Archives municipales de Nantes.

En définitive, plus qu’un ouvrage sur Maurice Digo, ce livre constitue une introduction à ses carnets et permet une première approche de ce témoignage. Et c’est sans doute là la principale qualité du livre d’Yves Jaouen puisqu’incontestablement il  donne envie au lecteur d’en savoir plus et de se confronter aux carnets de ce poilu. Et rien n’est plus facile puisque les Archives municipales de Nantes ont eu la judicieuse idée de les mettre en ligne !

Erwan LE GALL

 

1 DIGO Maurice, Le Cauchemar de Maurice Digo combattant nantais de la Grande Guerre, Haute Goulaine, Editions Opéra, 2014. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 CŒURDEVEY, Edouard, Carnets de guerre 1914-1918, Paris, Plon, 2010.  

3 Arch. Dép. Loire-Atl : 1 R 1280.3838.