Histoire d’une marginalité : les antivax

L’une des fonctions traditionnellement assignée à l’histoire, en tant que discipline, est d’éclairer le présent. Bien entendu, une telle assertion est hautement discutable puisque les contextes n’étant jamais les même, elle ne se répète jamais. Mais rien n’y fait, le rôle social de l’historien semble bien être celui-ci : rendre plus intelligible l’actualité par la connaissance du passé. C’est, du reste, cette fonction qui, visiblement, a poussé Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud à publier un ouvrage consacré à l’histoire de ceux que l’on nomme les « antivax »1.

Carte postale. Collection particulière.

Une telle entreprise est, bien évidemment, particulièrement louable. Montrer en quoi l’histoire, en tant que discipline, est en mesure de délivrer une expertise sur un sujet de société est en effet une démarche plus que louable. Ici, il s’agit de démontrer qu’il n’y a pas de génération spontanée et que les discours anti-vaccinaux que l’on peut entendre ça-et-là ne sont non seulement pas nouveaux (p. 11) mais qui'ils relèvent d’une tradition aux multiples ramifications : de l’anti-scientisme, religieux ou non, à l’anticapitalisme en passant par la défense intransigeante des libertés individuelles, idéologie indissociable d’une suspicion viscérale envers l’Etat. Il est vrai que la pratique du vaccin ne va pas de soi puisqu’il s’agit de s’inoculer volontairement un principe actif dangereux pour mieux s’en préserver. On comprend dès lors que l’opposition soit naturelle, ce d’autant plus que les accidents le sont tout autant et s’insèrent, depuis le XVIIIe siècle, dans une certaine forme de normalité statistique (p. 39). Ici, la démonstration est d’autant plus digne d’intérêt que les auteurs parviennent à historiciser de manière convaincante les discours antivax contemporains : « Il arrive dans certaines circonstances, après des décennies d’utilisation, que le vaccin, très efficace, fasse davantage de victimes que la maladie elle-même quasiment disparue » (p. 298-299).

Pourtant, solidement documenté, mais malheureusement accompagné d’un appareil critique peut-être un peu faible (281 notes situées en fin de volume pour plus de 300 pages de texte), l’ouvrage peine à convaincre et se révèle même, parfois, assez difficile à lire. La faute tout d’abord à un plan qui, accordant une très large place au temps présent – ce qui n’est en soi nullement répréhensible – ne tient pas toujours ses promesses. Ainsi, on doit bien avouer notre incrédulité quand, en plein milieu d’un chapitre intitulé « la lutte anti-vaccin à l’épreuve des deux guerres mondiales », on découvre une liste de médecins révoqués à la fin du XIXe siècle pour leur anti-pasteurisme, dont un certain Jousset de Bellesme « démissionné de son poste de professeur de médecine à Nantes » (p. 107). A cela s’ajoute une perspective résolument transnationale qui, pour être assurément dans l’air du temps et correspondre aux canons actuels de la discipline, n’en concoure pas moins à donner le tournis au lecteur, forcé de passer d’un paragraphe à l’autre des Etats-Unis à l’Italie puis de la Russie à la France en transitant par la Grande-Bretagne, l’Afrique et la Norvège.

Mais là n’est sans doute pas le plus problématique tant ce jugement est hautement subjectif, et donc parfaitement contestable. S’il ne s’agit bien entendu nullement pour nous de remettre en cause la réalité des faits décrits dans ce volume, force est néanmoins de s’interroger quant à leur représentativité. Piochant des exemples de discours et de pratiques antivax sur le temps long et les cinq continents, Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud contribuent malgré eux à un effet loupe dont le lecteur doit absolument se garder. Il faut en effet le rappeler sans ambiguïté, il ne s’agit là que de faits historiques statistiquement minoritaires, même s’ils raisonnent tout particulièrement à nos oreilles contemporaines de plus en plus aux prises avec les ritournelles anti-vaccinatrices. C’est ainsi qu’en Bretagne, par exemple, les grandes vagues de vaccination anti-typhoïdique de l’année 1915, cette maladie qui est si caractéristique de l’hygiène déplorable régnant dans les tranchées, ne rencontrent à notre connaissance aucune opposition même si, bien entendu, on peut percevoir quelques grognements dans certains courriers de poilus. Et comment pourrait-il du reste en être autrement lorsque l’on sait que dès mars 1870, La Semaine religieuse du diocèse de Vannes affirme, à l’occasion d’un épisode de variole : « La Providence nous a donné, par les mains de Jenner2, un moyen certain de la prévenir, c’est le vaccin ; mais comme la préservation par le vaccin n’est pas indéfinie, il est de toute prudence de se faire revacciner, surtout en temps d’épidémie, dix ou quinze ans après une première vaccination »3.

Carte postale. Collection particulière.

Malgré ces – réelles – réserves, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage que publient Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud mérite que l’on s’y plonge avec attention. Rappelant que le droit des patients à disposer de leur propre corps s’est construit au final assez tardivement, à partir des années 1930 (p. 125), l’ouvrage sait aussi bousculer un certain nombre de mythes. C’est ainsi par exemple que l’on apprend que le célèbre couple de pédagogue Célestin et Elise Freinet n’est pas sans avoir eu certaines inclinations anti-vaccinales4. Là est d’ailleurs la véritable force de l’ouvrage : offrir un vaste kaléidoscope de faits relatifs aux oppositions contre cette pratique médicale. Au risque de verser dans un impressionnisme rendant au final peu lisible l’objet.

Erwan LE GALL

SALVADORI, Françoise et VIGNAUD, Laurent-Henri, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Vendémiaire, 2019.

 

 

 

 

 

 

 

1 SALVADORI, Françoise et VIGNAUD, Laurent-Henri, Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Vendémiaire, 2019. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Edward Jenner : médecin anglais né en 1749 dans le Gloucestershire et à l’origine d’une campagne de vaccination antivariolique ayant rencontré au XVIIIe siècle un vaste succès en Grande-Bretagne.

3 « Instruction populaire au sujet de l’épidémie de variole », La Semaine religieuse du diocèse de Vannes, 3e année, n°10, 10 mars 1870, p. 147.

4 Sur Célestin Freinet on lira le récent et très stimulant SAINT-FUSCIEN, Emmanuel, Célestin Freinet. Un pédagogue en guerres 1914-1945, Paris, Perrin, 2017.