La poste des poilus

On connait l’excellente formule de Pierre Miquel pour qui la correspondance est « l’oxygène des poilus ». Pourtant, force est de constater que les études sur la Poste aux armées, véritable cordon ombilical pour poursuivre cette métaphore, sont rares. C’est donc avec la plus grande attention qu’on se plongera dans l’ouvrage que Laurent Albaret publie chez Yvert & Tellier, volume sobrement intitulé « La Poste pendant la Première Guerre mondiale »1.

Carte postale. Collection particulière.

D’ailleurs, dès les premières lignes, on mesure l’absurdité historiographique dans laquelle nous sommes. Alors que de Jean Norton Cru à Frédéric Rousseau, le témoignage, et donc quelque part le courrier, a suscité des dizaines d’ouvrages, rien ou presque n’a été publié sur le service qui permet justement à la troupe de communiquer avec l’arrière, et vice versa. La situation est d’autant plus paradoxale que la Poste est à la veille de la Grande Guerre non seulement le 2e recruteur de France, avec 115 000 postiers mais  l’institution d’Etat la plus féminisée (p. 11).

A eux seuls ces quelques chiffres disent toute l’importance de ce livre : traiter d’une institution qui si elle est complètement débordée par les premières semaines du conflit n’en contribue pas moins, indéniablement, à l’endurance combattante en acheminant quotidiennement 4 millions de lettres ordinaires, 150 000 paquets et 70 000 journaux (p. 20). Plus encore, la poste se révèle être un bon indice de modernité. On sait ainsi que s’il débarque en France à la fin du mois de juin 1917, le corps expéditionnaire américain, ou tout du moins les premiers éléments envoyés en tête de pont, ne sont nullement prêts à combattre. D’ailleurs, il faut attendre le 10 août 1917 pour que soit ouvert à Saint-Nazaire le premier bureau de la poste militaire américaine en France2. A contrario, l’armée française est souvent perçue en 1918 comme la plus moderne du monde, car la plus mécanisée3. Et c’est non sans intérêt qu’on relève dans l’ouvrage de Laurent Albaret que c’est en août 1918 qu’est inaugurée la première liaison aérienne postale, entre Paris et la base américaine de Saint-Nazaire (p. 52).

Très intelligemment illustré au moyen d’archives de grand intérêt – une mention toute particulière doit être accordée aux griffes postales, passionnantes – ce volume est extrêmement pédagogique et constituera, à coup sûr, un indispensable outil de travail pour celles et ceux qui auront à aborder la question de l’acheminement du courrier pendant la Grande Guerre. L’infographie présentant la réforme de la Poste aux armées mise en œuvre par Alphonse Marty est à cet égard un modèle du genre (p. 30-31) et permet de saisir en quelques instants les simplifications apportées à cette épineuse question logistique. Seule ombre au tableau, ce bon texte aurait sans doute mérité un appareil critique fait de références archivistiques et de notes bibliographiques. Sans doute un choix de l’éditeur mais qui, en définitive, ne rend pas honneur au travail de l’auteur.

Carte postale. Collection particulière.

Explorant un terrain pour l’heure encore peu défriché, ce livre est assurément une merveille de pédagogie : basé sur une iconographie soigneusement choisie et répondant toujours efficacement au texte, ce volume est jonché de petits focus permettant d’insister sur des points particuliers (les cartes postales militaires en franchises p. 32-33, la colombophilie militaire p. 99-101…). Bref, il s’agit là d’une indéniable réussite même si nous avons la faiblesse de croire que compte tenu de l’immensité du sujet traité, d’autres études pourront être menées sur la question afin de préciser et compléter nos connaissances.

Erwan LE GALL

ALBARET, Laurent, La Poste pendant la Première Guerre mondiale, Paris, Yvert & Tellier, 2016.

 

 

 

1 ALBARET, Laurent, La Poste pendant la Première Guerre mondiale, Paris, Yvert & Tellier, 2016. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 NOUAILHAT, Yves-Henri, Les Américains à Nantes et Saint-Nazaire, 1917-1919, Paris, Les Belles Lettres, 1972, p. 38.

3 GOYA, Michel, La Chair et l’acier. L’armée française et l’invention de la guerre moderne (1914-1918), Paris, Tallandier, 2004.