Le tragique bombardement du Cap Arcona

Si, aujourd’hui encore, les noms de Buchenwald et Mauthausen suffisent à provoquer l’effroi, tant le souvenir de l’horreur concentrationnaire nazie est fort, la mémoire du gigantesque camp de Neuengamme, situé sur les bords de la mer baltique, non loin de Hambourg, est pour sa part moins vive. Et encore, sans doute celui-ci est-il plus connu encore que celui du Cap Arcona, magnifique paquebot transformé en mouroir flottant et « dommage collatéral », pour employer un bien utile anachronisme, de la Royal Air Force le 3 mai 1945. Là est donc l’intérêt majeur de l’ouvrage signé par Pierre Vallaud et Mathilde Aycard que de faire (re)découvrir un drame largement méconnu1.

Le Cap Arcona au début de sa carrière, au temps de sa splendeur. Carte postale. Collection particulière.

C’est en effet au cœur même de la plus dramatique et absurde logique du système concentrationnaire nazi que nous plonge ce volume. Dramatique car 106 000 personnes de 28 nationalités différentes sont déportées à Neuengamme, usine de mort dont les ramifications plongent quasiment jusque sur les côtes bretonnes puisque sur l’île d’Aurigny est installé un de ses kommandos2. L’historiographie estime d’ailleurs que plus de 50 000 hommes et femmes sont morts dans ce camp de Neuengamme où l’un de ses satellites.

Mais l’histoire du Cap Arcona est sans doute encore plus dramatique dans la mesure où il est difficile de lui donner un sens, la réalité du conflit, et donc des perspectives de victoires du Reich, n’étant assurément pas les mêmes au printemps 1942, et trois ans plus tard. Alors que la Seconde Guerre mondiale est déjà perdue pour les nazis, les gardiens de Neuengamme décident d’évacuer le camp. Débutent alors les effroyables et terriblement mortifères « marches de la mort », que l’on retrouve d’ailleurs dans bien d’autres camps nazis. Alors qu’en toute « logique », les bourreaux de Neuengamme devraient chercher à fuir et à se fondre dans le chaos pour échapper aux troupes alliées qui tous les jours, gagent du terrain, plusieurs milliers de déportés, considérablement affaiblis par des mois d’un internement inhumain, sont parqués à bord du Cap Arcona, ancien paquebot de luxe amarré en baie de Lubeck. Sans doute les auteurs ont-ils raison d’évoquer à ce propos « une sorte de délire suicidaire » (p. 195), tant un tel choix se heurte aux limites de l’entendement.

En tout état de cause, l’intention du Gauleiter de Hambourg, Karl Kaufman, est claire : entasser les déportés survivants de Neuengamme dans des navires minés puis les faire exploser afin de faire disparaître toute trace du crime concentrationnaire (p. 218). Mais, hasard des circonstances, c’est la Royal Air Force qui se charge de cette dernière tâche, un bombardier touchant le Cap Arcona en train de prendre la mer. Devenu en quelques instants la proie des flammes, le bâtiment qui fut jadis un luxueux paquebot sombre en quelques instants, entraînant avec lui dans la Baltique et à la mort environ 7 000 déportés.

L'épave du Cap Arcona. Crédit: Edwin Vrielink.

Se centrant sur l’histoire de ce navire tout en prenant le soin de le resituer dans le contexte plus large de l’histoire du système concentrationnaire nazi et de la Seconde Guerre mondiale, l’ouvrage prend la forme d’un récit « choral » où se mêlent tout un ensemble de personnages, parfois les plus incongrus dans un tel contexte. Ainsi Pierre Clostermann, le futur héros des Forces aériennes français libres qui embarque à bord du Cap Arcona en 1928 (p. 33), mais aussi le futur historien du système concentrationnaire David Rousset et e de nombreuses victimes dont le parcours croise, à un moment ou un autre, le chemin de la Bretagne : Roland Beaulès, Maurice Guillaudot… Bien entendu, le lecteur avisé ne pourra que regretter le manque d’appareil critique et la bibliographie plutôt sommaire présentée à la fin du volume. De même, on pourra parfois se sentir frustré par le manque de problématisation du texte et par un certain sentiment d’« impressionnisme », perception découlant de la louable volonté des auteurs de resituer ces quelques jours d’horreur absolue dans le contexte plus large de la Seconde Guerre mondiale. Il n’en demeure pas moins que les éditions Tallandier présentent là un ouvrage qui se lit très aisément et qui, ciblant sans aucun doute le plus large public, contribuera – tout du moins c’est le vœu que nous formulons – à faire mieux connaître cette tragédie.

Erwan LE GALL

VALLAUD, Pierre et AYCARD, Mathilde, Le Dernier camp de la mort. La tragédie du Cap Arcona, Paris, Tallandier, 2017.

 

 

 

 

 

1 VALLAUD, Pierre et AYCARD, Mathilde, Le Dernier camp de la mort. La tragédie du Cap Arcona, Paris, Tallandier, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Sur la question se rapporter à LUC, Benoit, Les Déportés de France vers Aurigny (1942-1944), Marigny, Eurocibles, 2010.