Somme littéraire

Les éditions des Malassis ont eu l’excellente idée de publier un court extrait du carnet de route du lieutenant Jacques Meyer, texte ayant déjà paru en 1928 mais jamais réédité depuis1. Bien que non référencé dans le désormais fameux dictionnaire des 500 témoins, l’auteur n’est pas un inconnu pour qui s’intéresse à la Grande Guerre : normalien, on lui doit notamment, avec ses compères André Ducasse et Georges Perreux une classique Vie et mort des Français, 1914-19182. Gageons que si Rémy Cazals et son équipe envisagent une seconde édition de leur remarquable volume, ce court texte sur la bataille de la Somme vaudra cette fois-ci à Jacques Meyer d’y figurer.

Jacques Meyer se trouve non loin de Fay au début du mois de juillet 1916. Carte postale. Collection particulière.

En effet, ce Ce qu’on voit d’une offensive est avant tout une grande œuvre littéraire. Il n’est pas dans nos habitudes de nous étendre dans ces colonnes sur cet aspect des ouvrages que nous recensons mais, ici, force est d’admettre que ne pas le noter serait passer à côté d’une dimension essentielle du livre. Grâce à un style d’une rare légèreté, le texte est truffé de descriptions d’une redoutable efficacité, à l’instar de ces mercantis de l’arrière-front définis comme un « public patriote à peu de frais, et qui d’ailleurs ne sacrifie pas le patriotisme au sens du commerce » (p. 21). Pour autant, l’auteur ne sacrifie jamais le fond à la forme et est d’ailleurs adoubé par Jean Norton Cru qui voyait en cet ouvrage « un texte qui vient directement du feu »3. Un simple coup d’œil au journal des marches et opérations du 265e RI de Nantes, croisé au cours d’une montée en ligne (p. 43) suffit pour s’en convaincre : l’unité est encore épargnée lors de cette bataille de la Somme alors qu’elle déplore quelques jours plus tard la perte de près de 800 hommes4.

C’est que l’on a tout à gagner à lire Ce qu’on voit d’une offensive, en ce que justement il en résulte un angle parfait pour appréhender l’individu, fut-ce un officier subalterne, au cœur du combat. Loin du récit omniscient des Armées françaises dans la Grande Guerre et des classiques histoires de batailles, le soldat est au contraire perdu au milieu de l’immensité du théâtre d’opérations, ce que résume parfaitement Jacques Meyer : « Car ce que l’on voyait d’une offensive, quand on n’était ni lecteur avide ou commentateur éloquent des journaux à grand tirage, ni spectateur de cinéma, ni correspondant de guerre, ni dans un état-major, mais quand on y participait dans la biffe, simple soldat ou chef de section – ce qui est tout un, avec seulement plus de responsabilité pour le second et plus de fatigue encore pour le premier – c’était si peu de chose » (p. 14).

Dans ce témoignage, le contraste est important entre le regard lucide que Jacques Meyer porte sur sa vision tronquée, minimaliste, des évènements et son appétence pour la photographie. En plein assaut, l’auteur note ainsi que « les Vest Pocket fonctionnent éperdument » et consigne dans son carnet, satisfait, avoir eu pour sa part « le beau cliché » (p. 32). Tout se passe en réalité comme si la photographie lui permettait, en fixant quelques instants de réels, de reprendre le contrôle sur la cours des évènements.

Jacques Meyer consacre de belles lignes aux prisonniers capturés lors de l'offensive de la Somme, comme ceux ci sur ce cliché daté du 19 juillet 1916. BDIC: VAL 166/182.

Mais ceci doit aussi sans doute nous amener à nous interroger sur le regard que Jaques Meyer – et par la même occasion l’ensemble des témoins à fort bagage culturel – porte sur son expérience combattante. Malheureusement, l’auteur ne dit pas ce que recouvre pour lui le « beau cliché » mais il y a néanmoins fort à parier que l’adjectif se rapporte ici autant au sujet fixé sur la pellicule qu’à la manière dont l’instantané est pris, dimension qui ici fait intervenir autant de critères esthétiques que le cadrage, la lumière ou encore le contraste. De ce point de vue, le Vest Pocket se rapproche incontestablement de la magnifique plume de Jacques Meyer dont on peut se demander si, dans un mouvement d’ailleurs à peine renié, elle ne contribue pas à une sorte d’esthétisation de la guerre. Et on peut même sans doute aller plus loin en posant la dimension artistique, en ce qu’elle est le propre de l’homme, en nécessité plus ou moins inconsciente chez certains intellectuels combattants afin de rendre le réel supportable. Une hypothèse qui ne demande qu’à être explorée à partir, notamment, de ce remarquable texte que l’on ne saurait trop conseiller.

Erwan LE GALL

 

MEYER, Jacques, Ce qu’on voit d’une offensive, Paris, Editions des Malassis, 2015.

 

 

 

 

1 MEYER, Jacques, Ce qu’on voit d’une offensive, Paris, Editions des Malassis, 2015.

2 DUCASSE, André, MEYER, Jacques et PERREUX, Georges, Vie et mort des Français, 1914-1918, Paris, Hachette, 1959.

3 Sur ce point on reverra à NORTON CRU, Jean, Témoins : Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Paris, Les Etincelles, 1929 et ROUSSEAU, Frédéric, Le procès des témoins de la Grande Guerre : l’Affaire Norton Cru, Paris, Seuil, 2003 ainsi que, pour une analyse largement renouvelée de l’usage de la littérature en histoire, CARRARD, Philippe, Nous avons combattu pour Hitler, Paris, Armand Colin, 2011.

4 SHD-DAT : 26 N 732/8, JMO 265e régiment d’infanterie, 4 juillet 1916 et PLESSIS (Commandant du), Le régiment rose. Histoire du 265e d’infanterie, 1914-1919, Paris, Payot, 1920, p. 65.