Une véritable démarche d’histoire publique

Les réseaux sociaux constituent un espace où les jugements à l’emporte-pièce ne sont pas sans proliférer à un rythme aussi effréné que cadencé, une polémique chassant quasiment instantanément l’autre. C’est pourtant sur certains commentaires peu bienveillants ayant accompagné la sortie du second volume des Mythes de la Seconde Guerre mondiale parus sous la direction de J. Lopez et O. Wieviorka que nous souhaiterions revenir ici1. Il nous semble en effet que ce type d’ouvrage est non seulement essentiel mais constitue un enjeu majeur pour la discipline historique.

Carte postale. Collection particulière.

Certaines voix n’ont en effet pas hésité lors de la sortie de ce livre à glousser à propos d’un volume qui, à coup sûr, « n’apporterait rien de neuf à la connaissance de la Seconde Guerre mondiale ». Ce type d’arguments, que l’on rencontre trop souvent, est particulièrement intéressant en ce qu’il semble indexer la nouveauté historiographique à l’excellence intellectuelle, comme si l’inédit était immanquablement gage de progrès de la connaissance. Cette équation est malheureusement beaucoup plus complexe et il suffit, pour s’en convaincre, de se plonger dans la réception des ouvrages, certes novateurs mais largement discutés, de l’historien Timothy Snyder pour s’en convaincre2.

Dans le cadre du volume collectif dirigé par J. Lopez et Olivier Wieviorka, ce procès d’intention nous semble d’autant plus injustifié que ce livre n’a, et n’a a jamais prétendu avoir, l’ambition d’apporter quelque chose de neuf à la connaissance académique de la Seconde Guerre mondiale. L’ambition, rappelée dès la premier page du volume, est toute autre : « débusquer les mythes, légendes et idées reçues qui encombrent et déforment la perception du conflit, et qui sont largement répandus » (p. 11). On pourra certes tiquer sur le vocable un peu racoleur employé par les auteurs mais, fondamentalement, qui pourrait s’opposer à une telle démarche d’histoire publique, d’autant plus salutaire qu’elle touche à la toujours très sensible période 1939-1945 ?

Pour remplir l’objectif qu’ils se sont fixés, J. Lopez et Olivier Wieviorka ont fait appel à quelques-uns des meilleurs spécialistes de la période : citons pêle-mêle B. Vergez-Chaignon, auteure d’une monumentale biographie de Pétain, R. O. Paxton, historien américain dont les travaux sur Vichy induisent une rupture fondamentale dans la compréhension de la Seconde Guerre mondiale en France, mais encore Johann Chapoutot, Franck Liaigre, Vincent Bernard, Christian Delporte ou Philippe Buton. C’est là aussi une démarche qu’il faut souligner tant la certification des contenus, plus encore en cette période de Fake News, est un enjeu essentiel pour la diffusion de la connaissance.

Ruines d'Hiroshima après le bombardement nucléaire. Carte postale. Collection particulière.

Mêlant des historiens appartenant à des générations différentes et venant d’horizons divers, ce volume aborde une multitude d’aspects, de la déportation des homosexuels européens (Régis Schlagdenhauffen, p. 199-211) au bombardement d’Hiroshima (Constance Sereni, p. 345-360) en passant par la neutralité de la Suisse (Marc Perrenoud, p. 229-245). Ecrit dans une langue accessible à toutes et tous au travers d’articles d’une quinzaine de pages, le propos est à chaque fois d’une grande limpidité, de manière à pouvoir être saisi par le plus large public. C’est là une dimension pédagogique essentielle et qu’il ne faut surtout pas négliger, sous peine de retomber dans un syndrome de la tour d’ivoire extrêmement préjudiciable pour la discipline historique. La nature a en effet horreur du vide et si les spécialistes rechignent à diffuser de la sorte leur savoir dans la cité, ce sont de bien piètres copies médiatiques pas toujours armées des meilleures intentions qui prennent le relais. Là est donc un salvateur combat que nous ne pouvons qu’encourager. D’ailleurs, on ne saurait trop suggérer aux coordinateurs de cet ouvrage collectif d’entreprendre la publication d’un volume relatif à la Première Guerre mondiale, centenaire oblige…

Erwan LE GALL

LOPEZ, Jean et WIEVIORKA, Olivier (dir.), Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale Volume 2, Paris, Perrin, 2017.

 

 

 

1 LOPEZ, Jean et WIEVIORKA, Olivier (dir.), Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale Volume 2, Paris, Perrin, 2017. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 Pour un exemple récent se rapporter à SOLCHANY, Jean, « Beaucoup de bruit pour rien ? Retour sur la lecture faite par Timothy Snyder des violences de masse nazie et stalinienne », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°64-4, 2017/4, p. 134-171.