Rallier les Kerguelen

Le nom de Rallier du Baty sonne familièrement aux oreilles des Bretons. Beaucoup en l’entendant pensent d’ailleurs spontanément à Toussaint, maire de Rennes au XVIIIe siècle. Une rue du chef-lieu d’Ille-et-Vilaine rappelle d’ailleurs sa mémoire, dans le centre historique. Mais derrière cette destinée prestigieuse s’en cachent deux autres non moins intéressantes mais passablement méconnues, celles d’Henri et Raymond Rallier du Baty.

Nés de bonne famille, les deux frères sont très tôt attirés par la mer et, plus encore, par l’exploration du monde. Fils d’un capitaine de vaisseau et neveu d’un amiral, Raymond, le benjamin, effectue d’excellentes études dans une institution jésuite et maîtrise ses humanités latines à la perfection. Mais incapable de choisir la carrière de la magistrature comme le souhaitent ses parents, il répond à l’appel du large en devenant officier de marine marchande. Engagé sur un navire-école de la Royale pendant son service militaire, il double le cap Horn, expérience manifestement déterminante.

Le mythique cap Horn. Wikicommons.

En effet, Raymond Rallier du Baty n’a depuis de cesse de vouloir retourner dans ces mers du sud, encore largement méconnues. Il y parvient en 1904, réussissant à intégrer – non sans un piston de son oncle amiral, sa candidature ayant été de prime abord rejetée du fait de son inexpérience – l’expédition que mène un certain Jean-Baptiste Charcot. Engagé comme simple matelot, Raymond est de toutes les corvées à bord du Français mais rien ne parvient à enrayer son enthousiasme et sa curiosité.

D’ailleurs, sitôt revenu en France, il se démène pour repartir mais cette fois-ci par lui-même. Promu capitaine au long cours, il déplore pourtant cette profession qu’il juge « fort routinière » et réunit toute sa fortune, plus celle de quelques sympathiques mécènes, pour acheter un vieux ketch de 20 mètres et 45 tonneaux, le Sacré Cœur de Jésus, qu’il rebaptise du nom de son maître, le J. B. Charcot.

L'équipage du J.B. Charcot, photographie tirée d'Aventures aux Kerguelen. Henri Rallier du Baty est debout, à gauche, Raymond est à sa droite, avec un canotier.

C’est avec ce navire qu’aux côtés de son frère, Henri, lui aussi officier de marine marchande, Raymond Rallier du Baty part explorer les îles Kerguelen, dans le sud de l’Océan Indien. Le but de l’expédition est bien entendu la découverte de ces terres grandement inconnues mais les réalités économiques ne tardent pas à rejoindre les deux Bretons qui, endettés jusqu’au cou, sont obligés d’abattre des phoques pour  recueillir leur précieuse huile. Une activité qui les répugne au plus haut point mais rendue nécessaire par la contrainte budgétaire.

C’est en septembre 1907 que les frères Rallier du Baty et leur équipage appareillent de Boulogne pour les lointaines Kerguelen. Sans doute est-ce dû à leur jeune âge mais la presse ne leur accorde qu’une attention polie. L’article que L’Ouest-Eclair publie à l’occasion de leur départ est un modèle du genre : relégué en cinquième page, il ne se focalise de surcroît que sur les perspectives commerciales de l’expédition. Sans surprise, le retour n’est guère plus chaleureux et la nouvelle de leur arrivée à Melbourne après deux ans de voyage ne vaut aux frères Rallier du Baty, de surcroît renommés Romain et Maurice, qu’un article en cinquième page de L’Ouest-Eclair, dans la rubrique Marine de Commerce.

La péninsule Rallier du Baty aux îles Kerguelen, dénommée d'après Raymon et Henri qui en font pour la première fois la cartographie précise. Wikicommons.

Mais la célébrité n’est pas ce qui motive les deux frères qui repartent en septembre 1913 pour une nouvelle expédition, malheureusement interrompue par la Première Guerre mondiale. Et c’est comme la fin d’une époque pour les deux hommes qui répondent  à l’appel de la mobilisation. Raymond sert ainsi comme pilote d’hydravion et Henri comme capitaine dans l’infanterie. Il est d’ailleurs mort pour la France, des suites de ses blessures, le 21 février 1916, jour du déclenchement de la bataille de Verdun.

Le voyage des frères Rallier du Baty est d’autant plus injustement ignoré en France qu’il jouit d’une renommée certaine en Grande-Bretagne. Dès 1911, Raymond Rallier du Baty publie en anglais, aux édition Nelson, 15 000 miles in a ketch, version abrégée de son périple. Rapidement devenu un classique, cet ouvrage jouit d’une réelle notoriété mais n’est republié qu’au tout début des années 1990. On ne peut bien évidemment que vous en recommander chaudement la lecture. Cet Aventures aux Kerguelen érige en effet Raymond Rallier du Baty au rang des grands noms de la littérature maritime, aux côtés de mythes tels que Bernard Moitessier, Joshua Slocum ou encore Ernest Shackleton.

Erwan LE GALL