2 février 1930 : on célèbre le « doyen des marins » à Buguélès

En ce 2 février 1930, le village de pêcheurs trégorois de Buguélès est en pleine effervescence. Dans la petite chapelle Saint-Nicolas – saint-patron des navigateurs –, on y célèbre Yves Nicolas, le « doyen des marins »1. L’anniversaire du vieil homme est hors du commun, puisqu’il est né tout juste un siècle plus  tôt, le 2 février 1830 à « onze heures du matin » 2. Ainsi « la commune de Penvénan [à laquelle Buguélès est administrativement rattachée] a donc tenu à célébrer dignement cette date mémorable ». Pour l’occasion le « hameau Buguélès a vu se presser dans ses ruelles une affluence qu’il aurait pu croire réservée au seul jour de son Pardon annuel ».

Carte postale. Collection particulière.

Au début de la journée, « une foule grouillante » se presse dans la petite chapelle couronnée d’un ex-voto représentant « une monumentale frégate que supporte une poutre mal équarrie ». Après la célébration religieuse de l’abbé Auffret, l’anniversaire prend des airs plus profanes à partir de midi « au restaurant Pierrès ». Aux côtés de ce centenaire qu’on appelle « Tonton Erwan », et qui préside l’assemblée, on trouve sa nièce et sa sœur, âgée de 97 ans… Charles Dagorn, le maire de Penvénan, le docteur Pichouron, premier adjoint et tout le conseil municipal répondent également présents pour rendre hommage à Yves Nicolas. Après avoir mangé et bu « solidement », « le centenaire tint à donner le ton ». C’est ainsi que sans

« chopper sur aucun couplet, il entonna des chansons du vieux temps de la haute et de la basse Bretagne. Le tout avec une voix juste et bien ferme. »

Si, dans son discours, le maire « retraça sobrement le curriculum vitae du héros de la fête », il ne nous est donné que peu d’informations sur la vie du centenaire. Tout juste sait on qu’il sert à bord du vaisseau Le Jupiter au milieu du siècle précédent. C’est là qu’il aurait appris à chiquer le tabac. Une « passion » qui doit le maintenir en forme, puisqu’il y a « quatre ans il sortait encore au large ». En tout cas, Yves Nicolas ne correspond pas au portrait folklorique du « loup de mer breton tel que nous l’ont dépeint nos auteurs célèbres, Anatole Le Braz et Charles Le Goffic » :

« Il n’a point un collier de barbe grisonnante, mais une toute petite moustache en brosse. Il n’a point des allures graves de patriarches, mais l’effacement des humbles. Il a la figure bien remplie, point du tout couturée de rides, et il n’a point les oreilles velues du marin de roman, ni les anneaux d’or aux lobes. »

En ce jour, la célébration d’Yves Nicolas est totale, au point que le maire lui promet qu’il sera bientôt « chevalier de la Légion d’honneur », grâce aux appuis politiques des parlementaires des Côtes-du-Nord, « MM. de Kerguézec, Le Trocquer, Victor Le Guen ».

La chapelle Saint-Nicolas de Buguélès. Carte postale, collection particulière.

Il faut dire que si aujourd’hui le fait de devenir centenaire est presque banal – l’INSEE en recense plus de 20 000 en 2016 –  il n’en est pas du tout de même en cette première moitié du XXe siècle. L’Institut national des études démographiques (INED) estime qu’il y avait moins de 200 centenaires en France dans l’entre-deux-guerres. Et le Trégorrois de devenir vecteur de fierté régionale. En effet, à en croire L’Ouest-Eclair, grâce au vieux marin de Buguélès, « du jour au lendemain la Bretagne ne s’est plus sentie en  infériorité vis-à-vis de tous et aux provinces de France qui se découvrent l’une après l’autre un centenaire ». D’ailleurs le maire de Penvénan se vante qu’à l’époque où « des savants recherchent le moyen de prolonger notre vie », on trouve dans sa commune « des octogénaires, des nonagénaires et même un centenaire qui s’en va son petit bonhomme de chemin, la canne au poing ». Pour autant, il faut attendre les Trente  glorieuses pour voir progressivement une banalisation du grand âge, grâce à l’amélioration sanitaire et sociale des conditions de vie dont bénéficient les générations nés à la fin du XIXe siècle.

Thomas PERRONO

 

1  « Le centenaire du doyen des marins de France », L’Ouest-Eclair, 31e année, n°10 325,  03février 1930, p. 4.

2 Arch. dép. CdA : Acte de naissance d’Yves Nicolas, 02 février 1830, en ligne.