A la recherche du trésor de l'Elisabethville

L'histoire aurait pu inspirer Hergé qui, en 1943, envoie son célèbre héros Tintin à la recherche d'un trésor perdu au fond de l'océan, celui du terrible pirate Rackham le Rouge1. Quel enfant n'a pas rêvé en découvrant les fonds marins multicolores explorés par le jeune reporter ? Quinze ans plus tôt, en 1928, le journaliste Pierre Lamelin transporte les fidèles lecteurs de l'Ouest-Eclair dans une aventure similaire, à peine moins exotique, au large de Belle-Ile-en-Mer. Il conte alors les aventures bien réelles des  marins de l'Artiglio dans leur quête du trésor de l'Elisabethville, à travers une série de quatre articles parus entre le 11 et le 15 juillet.

Carte postale, sans date. Collection privée.

Tout commence par une histoire de « piraterie », tout du moins aux yeux des contemporains2. En septembre 1917, le Morbihan subit de plein fouet les conséquences de la guerre sous-marine à outrance déclarée par les Allemands en janvier de la même année3. Pourtant, malgré les risques, le paquebot belge Elisabethville quitte La Pallice le 6 septembre en direction de l'Angleterre, les cales remplies d'objets précieux : 200 tonnes de caoutchouc, 10 tonnes d'ivoire et surtout 13 000 carats de diamants !

S'en suit , une série de signes étranges : départ anticipé et sans escorte, simulation d'un sauvetage en sollicitant les 200 passagers peu après le départ ainsi qu'un étrange signal radio préconisant de dévier le trajet initialement prévu par le sud de Belle-Ile en passant au nord4. Le paquebot s'engage alors dans nouvelle direction qui s’avère tragique. En effet, aux alentours de 13 heures 40, il croise la route de l'U71 du Commandant Saltzwedel. Malgré d'astucieuses manœuvres destinées à percuter le submersible, une torpille vient mettre fin aux espoirs de l'Elisabethville qui part reposer au fond de l'Océan, emportant quatorze matelots et ses nombreux trésors5.

L'Ouest-Eclair du 11 juillet 1928 accordant sa une aux fouilles de l'épaves de l'Elisabetville. Archives Ouest-France.

Onze ans plus tard, l'histoire de l'Elisabetville ressurgit. Deux navires français, Le Tourbillon et l'Archimède, quittent Saint-Nazaire dans l'espoir de retrouver la précieuse épave. Après 30 jours de recherches infructueuses, impuissants, ils stoppent leurs recherches. L'Artiglio, ancien chalutier reconverti en chasseur d'épaves par la SORIMA (Société Italienne de récupération maritime), prend le relais. Il arrive d'Italie le 18 juin avec la ferme intention de percer le mystère de la position du paquebot6. Le succès est au rendez-vous puisque, dix jours plus tard, l'épave est enfin découverte.

A la joie de l'équipage succède la concentration et la préparation de la première exploration : il faut plonger à 80 mètres ! Atteindre une telle profondeur nécessite un équipement perfectionné. Surgit alors d'un « endroit ignoré, peut-être de la planète Mars », un étrange costume de fer abritant un homme prêt à plonger7.

Cette fois, pas besoin de Dupondt pour « pomper », puisque L'Ouest-Elair rapporte que le scaphandrier dispose de « bouteilles d'oxygène » lui autorisant une autonomie de quinze minutes8. Une telle description ne peut que laisser songeur lorsque l'on sait que l'oxygène pur est toxique à partir de 6 mètres de profondeur et que les plongeurs d'aujourd'hui ne descendent sur cette épave qu'avec des bouteilles remplies d'air enrichi en azote et en hélium, afin de lutter contre l'ivresse des profondeur. C'est dire si les plongées de l'époque sont dangeureuses... et les maladies de décompression - pour reprendre les termes de l'époque - fréquentes.

Aujourd'hui encore, plonger sur l'Elisabethville nécessite un matériel de pointe, une grande expérience et un entraînement sans failler. Photo Pascal Robert / Groupe de recherche et d'exploration martime.

Une fois dans l'eau, le spectacle est néanmoins fascinant. « Ce que l'on voit ? Au passage des poissons que rien n'étonne et qui glissent, giflant d'un coup votre hublot de cristal; des algues gigantesques à la chevelure mollement balancée »9. Propos de journaliste entre Jules Verne, narcose et réel fantasme subaquatique...

Les plongées se succèdent mais, invariablement, toutes s'avèrent infructueuses. Les jours se suivent. Tous sont rythmés par les bruits continus de la houle et du vent. Les marins rapportent de l'ivoire et quelques objets précieux mais toujours pas de diamants. Le soleil de juillet facilite néanmoins les recherches et, le 3, le scaphandrier découvre enfin un coffre10. Pour le remonter, les marins décident de dynamiter la salle. L'explosion silencieuse est rendue visible par les bulles et les poissons morts qui remontent à la surface. Le coffre peut alors être remonté mais, malheureusement, il n'y a pas le trésor escompté.

L'aventure de Pierre Jamelin se termine. Il abandonne l'équipage et laisse le lecteur sur sa faim. On sait aujourd'hui  que les marins de l'Artiglio poursuivent leurs recherches pendant quatre mois avec toujours la même déception. Le 3 novembre 1928, l'ancien chalutier lève l'ancre. Ses cales sont certes remplies d'ivoire mais il n'a pu percer l'énigme des diamants de l'Elisabetville11. Le mystère reste entier, étaient-ils vraiment à bord lors de départ de La Pallice le 6 septembre 1917 ?

Peu importe la finalité de l'aventure tant qu'elle permet au lecteur de s'évader. La description des recherches, qui nous rappellent inévitablement l'œuvre d'Hergé, montrent une nouvelle fois combien le fabuleux dessinateur belge était documenté pour transmettre aux lecteurs des aventures proches de la réalités12.

L'Artiglio connait quant-à lui un destin tragique13. Rappelé au large de Quiberon pour effectuer le dérasement du Florence-H, il est aspiré par l'explosion du vapeur américain le 7 décembre 193014. Douze des dix-huit marins à son bord disparaissent …  Des pièces repêchées du navire sont aujourd'hui visibles dans les musées de Quiberon et de Sein15.

Yves-Marie EVANNO

 

1 HERGE,  « Le Trésor de Rackham le Rouge », Le Soir, 19 février au 23 septembre 1943.

2 Les submersible allemands, pour économiser les couteuses torpilles, privilégient les attaquent de petits navires aux canons. Ils procèdent ensuite à un abordage afin de récupérer des vivres et autres objets précieux puis, coulent le navire. Ces pratiques inspirent ainsi au quotidien lorientais Le Nouvelliste du Morbihan, une rubrique « La piraterie teutonne ». 

3 MASSON, Philippe, « La guerre sous-marine » in AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Jean-Jacques, Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 437-451.

4 « A la recherche d'un trésor enseveli par 80 mètres de fonds au large de Belle-Ile », L'Ouest-Eclair, n°9756, 11 juillet 1928, p. 1-2.

5 Arch. dép. du Morbihan, R 1284 : Rapport de la gendarmerie d'Auray, le 7 septembre 1917.

6 « A la recherche de l'épave de l'Elisabethville » L'Ouest-Eclair, n°9757, 12 juillet 1928, p.1.

7 « Au dessus de l'épave aux diamants », L'Ouest-Eclair, n°9759, 14 juillet 1928, p.1.

8 « Le coffre précieux s'est effondré dans la cale de l'Elisabethville », L'Ouest-Eclair, n°9760, 15 juillet 1928, p. 1.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 http://www.archeosousmarine.net/elisabethville.html

12 En effet, depuis Le Lotus Bleu, Hergé s'arme d'une documentation précise pour obtenir un résultat réaliste. Sur ce point, voir  « Tchang l'ami chinois », Les personnages de Tintin dans l'Histoire. Les événements de 1930 à 1944 qui ont inspiré l'œuvre d'Hergé. » (Tome 1), Historia, numéro spécial, juillet 2011, p. 48-51.

13 http://www.archeosousmarine.net/artiglio.html

14 « Le releveur d'épaves saute », L'Ouest-Eclair, n°12451, 30 décembre 1930, p. 1.

15 http://museequiberon.port-haliguen.com/index.php?lng=fr ; http://www.archeosousmarine.net/museesein.html