Automatique ? C’est le phare du Nividic

Le 5 janvier 1935, G. Le Bellec signe dans Le Nouvelliste du Morbihan un passionnant article qui ne manque pas, aujourd’hui, de faire sourire : « Visite au premier phare sans gardien ». Et oui ! En ce milieu des années 1930, l’automatisation n’est pas encore la norme et constitue au contraire un motif supplémentaire d’intérêt, comme une nouvelle marque du triomphe de la technique sur la nature furieuse.

Le phare du Nividic par forte houle. Carte postale. Collection particulière.

Le phare dont il s’agit dans cet article du Nouvelliste de Morbihan n’est pas n’importe quel phare. Il s’agit du Nividic, ou Nividig, du nom d’une pierre située à la pointe occidentale de l’île d’Ouessant. Un détail mieux que de nombreux développements dit bien combien les parages sont dangereux en cas de coup de vent : il s’agit tout simplement du point le plus occidental de la France métropolitaine. G. Le Bellec ne s’y trompe d’ailleurs pas et insiste sur ce point, n’hésitant d’ailleurs pas à forcer le trait et à user d’artifices littéraires: « En avant, dans une mer de lait et de crème, apparaissaient partout des têtes ou des dos de roches noirâtres tour à tour submergées ou émergeant de la houle ». Rappelons en effet que si la mer ce jour avait été réellement « de lait et de crème », il n’aurait probablement pas pu approcher du Nividic…

L’histoire de l’édification de ce phare, une véritable prouesse technique, est à cet égard particulièrement intéressante. C’est le 5 janvier 1910 que la construction de cet édifice doté d’un feu et d’un signal sonore automatique est décidée. Le chantier est évidemment particulièrement délicate compte tenu des lieux. Mais, à la furie des vagues et du vent par gros temps viennent s’ajouter d’autres considérations qui ne manquent pas d’interpeller. Si le phare est automatisé, celui-ci n’est pour autant pas autonome et il convient donc de l’alimenter. Or, à partir de la fin des années 1920, alors que la construction a commencé depuis plus de quinze ans, des voix émergent pour que soit respectée la beauté des lieux, propos qui visent particulièrement le système de pylônes qui doivent supporter la ligne électrique aérienne et le téléphérique destiné à permettre les interventions sur le phare. En définitive, ce ne sont que deux et non trois pylônes qui sont érigés.

Lorsque G. Le Bellec visite les parages du Nividic, le phare n’est pas encore mis en service – il ne le sera que l’année suivante – mais est déjà doté d’un feu de secours alimenté au gaz et allumé depuis octobre 1931. Aussi est-ce sans doute pourquoi il n’hésite pas à insister sur le progrès que constitue cette automatisation, même si celle-ci n’est en réalité pas tout-à-fait effective :

« Il faut avoir les nerfs solides et ne pas craindre la solitude pour faire ce métier de gardien de phare en mer, isolé de toute communication pendant trois, quatre et quelques fois six mois, quand le bateau ravitailleur ne peut s’approcher. Dans les jours de tempête c’est effroyable. […] On pourrait croire que c’est rigide, un monolithe comme ceux-là. Non. C’est élastique comme tout le reste ; au sommet, les oscillations atteignent souvent 50 centimètres. Aussi il arrive qu’en dehors de la maladie, des cas de folie se produisent ; il arrive parfois des drames affreux, et les gens de la côte voient avec épouvante le drapeau noir battant au sommet de la tour pendant des jours, avant que l’état de la mer permette d’aller voir ce qui est arrivé. »

Au loin, le Nividic. Carte postale. Collection particulière.

Aujourd’hui, l’automatisation des phares, bien que perçue comme inéluctable, est regrettée par de nombreux défenseurs du patrimoine. Situés en pleine mer et livrés aux éléments les plus féroces, ces magnifiques édifices sont en effet fragiles et requièrent des soins quotidiens que seuls les gardiens qui étaient affectés pouvaient leur prodiguer… Dans le cas du Nividic, la situation est d’autant plus ironique que le phare doit rompre le service au bout de trois ans, en 1940, sur ordre des Allemands. Non entretenus, les câbles aériens qui relient la tour à la terre se rompent, rongés par la corrosion. Il faut finalement attendre 1953 mais, plus encore 1958 et la pose d’une petite plateforme en bois permettant l’atterrissage en hélicoptère, pour qu’il puisse reprendre pleinement son travail.

Erwan LE GALL

 

 

Pour en savoir plus : FICHOU, Jean-Christophe, Gardiens de phares, 1789-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, et (avec LE HENAFF, Noël, et MEVEL, Xavier) Phares. Histoire du balisage et de l’éclairage des côtes de France, Douarnenez, Le Chasse-Marée éditions, 1999.