Du journalisme à sensations
C’est sur un drame atroce que s’ouvre l’édition du 9 septembre 1934 de L’Ouest-Eclair : un paquebot américain, le Morro Castle, effectuant la liaison La Havane – New-York est dévasté par les flammes le long des côtes du New Jersey avec 318 passagers et 240 membres d’équipage à bord. Pour ne rien arranger, les conditions atmosphériques déplorables rendent extrêmement difficiles l’organisation des secours et contribuent au très lourd bilan de la catastrophe puisqu’au final on déplore plus de 137 morts.
Ce fait divers est intéressant en ce qu’il permet d’analyser certains des fonctionnements d’un grand quotidien des années 1930 tel que L’Ouest-Eclair. Notons tout d’abord que le traitement de cette information résulte d’un choix éditorial spécifique à ce titre puisque si la Dépêche de Brest évoque la catastrophe dans son édition du 9 septembre, elle cesse de le faire le lendemain. Au contraire, le journal fondé à Rennes consacre pour sa part la moitié de sa une au drame, accordant une place encore plus importante que celle accordée aux commémorations du 20e anniversaire de la bataille de la Marne.
Il est vrai que l’incendie qui ravage le Morro Casttle a tout du film catastrophe hollywoodien : on croit d’abord à la foudre puis à un attentat pour ensuite découvrir que c’est dans la bibliothèque que se déclare le sinistre. Plus curieux encore, le capitaine Willmott commandant le navire décède subitement d’une crise cardiaque quelques heures seulement avant le drame. De plus, sur le navire se trouve la fille du président cubain, Renée Méndez Capote.
L’Ouest-Eclair affirme d’ailleurs que l’incendie du Morro-Castle est « le plus grand sinistre maritime qui soit advenu depuis le naufrage du Titanic et le torpillage du Lusitania ». Vu sous cet angle, tout cela suffirait à justifier la place accordée à cette information mais on est toutefois surpris de lire un certain nombre de détails qui viennent encore rajouter du sensationnel à cet épouvantable drame. Ainsi cette scène atroce :
« Un chalutier réussit à monter à son bord une femme qui se débattait dans les vagues et essayait de soutenir sur l’eau un enfant. Lorsque la malheureuse s’aperçut que le bébé était mort, elle se jeta de nouveau à l’eau et disparut. »
Et enfin, pour finir d’achever le lecteur :
« D’après les dernières nouvelles des navires sauveteurs on confirme que des requins erraient sur les lieux du sinistre et leur présence ajoutait encore à l’horreur de la catastrophe. On a déjà repêché des corps horriblement mutilés par les squales. »
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Le Morro Castle une fois l'incendie maîtrisé. Wikicommons. |
L’Ouest-Eclair ne lésine donc pas sur les détails croustillants pour dire à ses lecteurs combien le naufrage du Morro Castle est une catastrophe épouvantable. Pour autant, ce qui frappe c’est également l’ampleur des moyens technologiques déployés pour couvrir ce fait divers. Classiquement, ce sont des correspondants d’agence qui, sur place, couvrent l’évènement. Mais les photographies du drame qui barrent la une du journal suivent un parcours beaucoup plus complexe – rappelé d’ailleurs dans les légendes – puisqu’elles sont transmises de New-York à Londres par « service téléphotographique » puis acheminées de la capitale britannique à Paris par avion pour être enfin expédiées à Rennes.
Il est hors de doute que de tels moyens sont extrêmement couteux et l’on est dès lors en droit de se demander si derrière le légitime devoir d’informer le lectorat ne se cache pas en réalité une course au sensationnalisme dans le but de vendre du papier. Dans ce cadre, bien que très chères, les photographies de une sont moins une dépense qu’un investissement permettant de capter une clientèle avide de détails sur ce drame épouvantable. Et accessoirement une caution permettant sans doute de justifier que l’on enjolive quelque peu les faits…
Erwan LE GALL |