Irène : la princesse foudroyée à Donges

L’estuaire de la Loire est un véritable poumon hexagonal. Outre les chantiers navals de Saint-Nazaire, baromètre manifeste de la santé industrielle française, la raffinerie de Donges traite environ 11 millions de tonnes de pétrole brut par an et assure, à ce titre, une part essentiel du ravitaillement du pays en carburant. Aussi, l’arrivée et le déchargement de pétroliers toujours plus grands fait partie du quotidien des riverains et, à dire vrai, n’attire pas vraiment l’attention des locaux. Y compris en cette matinée orageuse du samedi 26 août 1972.

Vue générale du port et de la raffinerie de Donges. Carte postale. Collection particulière.

Le Princess Irène, un gigantesque tanker grec, se trouve alors au poste VI de la raffinerie de Donges. Arrivé la veille, il vient de livrer plus de 58 000 tonnes de pétrole brut en provenance de Lybie. L’ambiance est lourde comme peuvent l’être Bretagne certaines journées orageuses de l’été finissant. Anticipant un coup de vent, le capitaine Spiros Yanakakis, un athénien de 45 ans, décide de remplir ses ballasts d’eau. Devant en effet repartir à 12h30 pour le port pétrolier de Lagos, au Nigéria, il préfère alourdir son navire et ainsi le rendre plus stable avant d’affronter le coup de vent qui s’annonce sur le golfe de Gascogne.

Ajoutons d’ailleurs qu’un pétrolier ne craint pas particulièrement l’orage. En effet, même si un navire aussi gigantesque que le Princess Irène est touché par la foudre, sa structure en métal conduit mécaniquement l’énergie reçue vers la mer. Mais l’exception se produit à 10h16 lorsqu’une titanesque déflagration retentit et qu’une immense gerbe de feu s’élève à 60 mètres dans le ciel : le Princess Irène vient de sauter. Une Dongeoise racontera 40 ans plus tard, dans la presse locale : « J’étais debout dans ma maison, dans le bourg, et sans comprendre, après l’explosion, je me suis retrouvée assise sur une chaise »1. Terrible, la détonation s’entend jusqu’à Saint-Nazaire, à 15 kilomètres du lieu du dramatique accident.

Celui-ci s’explique d’ailleurs par un dramatique concours de circonstances. En remplissant ses cuves d’eau pour se stabiliser, le Princess Irène évacue quelques gaz inertes. Hautement explosifs, ces résidus pétroliers transforment le tanker en gigantesque boule de feu lorsque celui-ci est frappé, à 10h16, le samedi 26 août 1972, par la foudre. Sans surprise, le bilan est lourd : trois marins grecs périssent ainsi que le gardien de la raffinerie, le chauffeur d’un camion-citerne en train d’effectuer une livraison et un jeune étudiant de l’IUT de Saint-Nazaire, en stage. 26 blessés, la plupart légèrement brûlés, s’ajoutent à ce décompte macabre tandis que les flammes achèvent de ravager le pétrolier, éventré par le souffle de l’explosion. Le terminal de la raffinerie est, lui, complètement détruit.

Alors que les 500 tonnes de carburant servant à la propulsion du navire continuent de partir en fumée, deux nouvelles explosions retentissent à 11h 50 et 12h05, projetant à des centaines de mètres des débris métalliques atteignant parfois une centaine de kilos. La scène est dantesque alors que plusieurs membres de l’équipage, dont le capitaine Yanakakis et la femme d’un marin venu visiter à bord son mari ingénieur, se sont jetés à la Loire pour échapper au sinistre. Dans une eau visqueuse de pétrole, ils nagent de toutes leurs forces pour rejoindre les berges ou être repêchés par les secours, rapidement venus sur place. Ce n’est qu’au bout d’une dizaine de jours que les pompiers parviennent à maîtriser l’incendie tandis que l’épave, disloquée, s'enfonce dans la vase.

Ce qui reste du Princess Irène après l'accident. Archives Ouest-France.

L’accident est bien entendu un véritable traumatisme pour l’estuaire de la Loire et les syndicats, CGT et CFDT en tête, militent pour l’interdiction des manœuvres de ballastage pendant les périodes d’orage. Toujours plus grands, les pétroliers sont en effet de véritables bombonnes de gaz qui ne demandent qu’à rentrer en contact avec la moindre étincelle lorsqu’ils sont délestés de leur précieuse cargaison. Mais face à ces mesures – de bon sens – de sécurité il y a la réalité d’un secteur économique toujours plus concurrentiel, imposant aux navires et aux équipages des cadences toujours plus importantes. On se rappelle en effet que le Princess Irène devait partir pour Lagos à 12.30. Pouvait-il se permettre de laisser passer l’orage ? La question n’est, aujourd’hui encore, toujours pas élucidée.

Erwan LE GALL

 

1 Témoignage recueilli par Ouest-France. En ligne.