L’Evangeline : Cette étrange épave en rade de Lorient était un ancien paquebot

Au début des années 2000, une légende urbaine prétend que la carcasse d’un vieil U-Boot repose au pied de la citadelle de Port-Louis. En raison de l’importance du trafic dans la passe qui donne accès à la rade de Loriet, peu de personnes sont habilitées à plonger sur ce site afin de vérifier cette solide rumeur. En 2007 l’expédition Scyllias, composée de plongeurs amateurs d’archéologie sous-marine, obtient exceptionnellement l’autorisation d’explorer l’épave. A leur plus grande surprise, l’équipe découvre qu’il s’agit en réalité d’un navire voguant non pas sous mais sur l’eau : l’Evangeline1.

La citadelle Port-Louis, marque de l’entrée dans la rade de Lorient et lieu du naufrage de l’Evangeline. Carte postale. Collection particulière.

Le 14 janvier 1921, l’Evangeline, un imposant paquebot de 115 mètres de long, est sur le point d’entrer dans le port de Lorient. Reconverti depuis 1918 en cargo, il s’apprête à livrer une précieuse cargaison à l’arsenal. Il transporte dans ses cales près de 2 500 tonnes de tôles d'acier nécessaires à la construction de « cargos de type Marie-Louise » et assure en même temps le convoyage de vedettes et d’hydravions destinés à la Marine2. Mais, vers 18 heures, un événement interrompt brusquement la quiétude du voyage. L’Evangeline vient d’heurter un rocher.

La panique gagne vite les 46 membres d’équipage. Très rapidement, le mécanicien Jacques Pompeani constate que l’eau pénètre à bord et s’empresse de « prévenir le chef mécanicien qui, immédiatement, et sans attendre l'ordre de la passerelle arrêta les ventilateurs et ouvrit en grand l'évacuation pour éviter une explosion des chaudières » 3. De son côté le commandant, constatant avec effroi qu’il ne peut plus manœuvrer son gouvernail, lance « un sauve-qui-peut général ». Il demande à son second de mettre « les embarcations à la mer » pendant qu’il envoie un message de détresse au port de Lorient. L’urgence est de mise : 5 minutes après l’impact, l’ancien paquebot prend déjà une gite inquiétante. Deux marins sont même pris au piège : le premier est un mutilé de guerre tandis que le second s’est blessé quelques jours plus tôt et ne peut pas quitter sa couchette. Les deux hommes doivent leur salut au « courage » du mécanicien Jacques Pompeani qui décide d’aller les chercher et de les « jeter (sic) » dans un canot de sauvetage4.

Il faut à peine 12 minutes à l’Evangeline pour sombrer. Si le drame humain est évité, le naufrage constitue en revanche une véritable catastrophe économique. Selon les journalistes du Nouvelliste du Morbihan, « les dommages dépasseraient un million », ils seraient de « plusieurs millions » d’après leurs confrères de L’Ouest-Eclair5. Ces derniers se posent alors la question de savoir s’il est possible de « sauver le chargement ? ». Le quotidien rennais rapporte que

« le port de Lorient envisage les moyens de sauver les tôles, ce qui sera difficile, car celles-ci sont tout à fait à fond de cale. On tentera cependant de pratiquer une brèche au chalumeau, qui permettra peut-être de sauver une certaine quantité du chargement. »

L'Evangeline lors de son lancement en 1912. Peinture du Danois Antonio Jacobsen.

Non seulement les chantiers de l’arsenal ne reçoivent pas la marchandise prévue, mais ils sont également pénalisés pas la paralysie du trafic vers le port : l’imposante épave menaçant de faire sombrer à leurs tours les navires en approche. Finalement, c’est au début du mois de juin que débutent les « travaux ayant pour but de faire sauter l’épave »6. Les opérations sous-marines durent de nombreux mois et prennent une tournure tragique. Début octobre, c’est un scaphandrier de Lanester qui meurt « asphyxié par 16 mètres de fonds » puis, quelques jours plus tard, « une lourde plaque de tôle » tombe sur deux autres plongeurs, tuant l’un d’entre eux sur le coup7. L’épave de l’Evangeline devient de plus en plus problématique et suscite les critiques acerbes des Lorientais. La dernière phase des travaux, « enfin paraît-il » s’exaspère L’Avenir du Morbihan, commence plus d’un an et demi après le naufrage, en août 19228. Malgré le retentissement et les incidences de cette dramatique fortune de mer, l’identité de la célèbre épave va progressivement être oubliée, laissant alors la place à une légende urbaine…

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « Épave. Le U Boot était....un paquebot transatlantique », Le Télégramme, 21 février 2011, édition en ligne. Le compte rendu de cette découverte est à découvrir dans Maurette, Jean-Louis et Moriceau, Christophe, Epaves en baie de Lorient, Gourin, éditions des Montagnes Noires, 2011.

2 « Le cargo Evangeline coule devant Lorient », L’Ouest-Eclair, 15 janvier 1921, p. 1.

3 « Les rescapés du cargo Evangeline », L'Ouest-Éclair, 18 janvier 1921, p. 4.

4 Ibid.

5 « Naufrage d’un transport près de Port-Louis », Le Nouvelliste du Morbihan, 22 janvier 1921, p. 2 et « Le cargo Evangeline coule devant Lorient », L’Ouest-Eclair, 15 janvier 1921, p. 1.

6 « Dans les passes de Lorient », Le Progrès du Morbihan, 5 juin 1921, p. 2.

7 « Encore un accident mortel à bord de l’Evangeline », Le Progrès du Morbihan, 16 octobre 1921, p. 2.

8 « Pour dégager l’entrée de la rade », L’Avenir du Morbihan, 12 août 1921, p. 2.