Meurtre au phare de Batz ?

C’est un bien curieux reportage qui fait la une de L’Eclaireur du Finistère le 3 février 19121. Intitulé « Un drame à l’Ile-de-Batz », orthographe qui désigne la commune située sur l’éperon rocheux du même nom au large de Roscoff, ce long article revient sur la mort, onze mois plus tôt, dans la nuit du 30 au 31 mars 1911, de la femme du gardien du phare, retrouvée noyée sur la grève du Théven située à 400 mètres de son domicile. L’hypothèse de l’accident étant alors largement privilégiée, un permis d’inhumer est délivré ce qui semble clore ce qui ne constitue alors nullement une affaire.

Carte postale. Collection particulière.

Mais, quelques mois plus tard, le Procureur de la République à Morlaix reçoit une lettre anonyme accusant formellement le gardien du phare, Louis Riou, du meurtre de son épouse, née Marianne Mocaër à Cast, dans le Finistère, le 7 mai 1868. S’en suit une enquête qui, étant donné le laps de temps écoulé depuis le décès de la victime et les moyens techniques disponibles à l’époque, ne parvient bien entendu à aucune conclusion définitive. Et l’histoire semble d’ailleurs en rester ici puisqu’à notre connaissance aucune condamnation n’est prononcée dans cette affaire. Alors qu’en déduire ? Pas grand-chose à l’exception de quelques éléments qui renvoient directement à la société insulaire et au huis clos imposé par les éléments.

Tout d’abord, il est frappant de voir que c’est le travail sous toutes ses formes qui prime alors à Batz. Point d’économie touristique ici mais au contraire une polyactivité avancée d’ailleurs par Louis Riou pour expliquer les circonstances du drame : son épouse Marianne serait en effet partie de nuit relever des filets qu’il avait posés pendant la journée. Or, il convient de remarquer que la crédibilité de cet argument ne semble jamais avoir été remise en cause. Bien que jouissant d’une certaine position de notabilité, le gardien de phare éprouve donc le besoin de compléter son traitement avec d’autres activités : la pêche mais aussi, gageons-le, sans doute un peu d’agriculture sur un lopin situé à proximité du domicile. C’est en réalité bien d’une économie de l’autosuffisance dont il s’agit ici.

Autre élément qu’il convient de relever, et non des moindres si on considère cette affaire sous son angle policier, la pression sociale qu’impose le huis-clos de Batz. En effet, sur une île, tout le monde se connaît et ce qui semble ici avoir motivé la lettre de dénonciation au Procureur de la République est le remariage jugé rapide de Louis Riou. S’en suit toute une série d’éléments abondamment relayés par L’Eclaireur du Finistère qui, d’après les éléments même de l’enquête, sont invérifiables et paraissent en définitive participer de la mécanique de la rumeur2.

Carte postale. Collection particulière.

Et là est sans doute la conclusion essentielle qu’il convient de tirer de cette affaire : la virulence avec laquelle cet hebdomadaire s’en empare, livrant à la vindicte publique un homme qui, jusqu’à preuve du contraire, n’est alors nullement déclaré coupable. La preuve en est que L’Eclaireur du Finistère avance que la population de l’île savait que « le ménage Riou n’était pas des plus unis, que les querelles éclataient souvent entre les deux époux ; […] que Riou entretenait une correspondance avec une jeune veuve de Douarnenez, Mme Jaddé, née Louise Legonidec, âgée de 31 ans, dont le mari – singulière coïncidence – s’était noyé à Caen vers la fin du mois de février ». En somme, tout l’inverse de la Dépêche de Brest qui, dans un article publié le 1er février 1912, soutient que « les renseignements fournis par les voisins du ménage Riou ne le représentaient pas d’ailleurs comme désuni » et décrit la victime comme étant « une excellente ménagère très travailleuse »3. Bref, rien qui ne puisse éclaircir ce qui est présenté comme « le mystère de l’île de Batz » mais en revanche de quoi inciter les historien.e.s à la plus grande vigilance au moment d’employer la presse de la Belle époque.

Erwan LE GALL

 

1 « Un drame à l’Ile-de-Batz », L’Eclaireur du Finistère, 11e année, n°173,  février 1912, p. 1-2.

2 Sur celle-ci on renverra au déjà ancien mais trop méconnu WALSER SMITH, Helmut, La Rumeur de Konitz. Une affaire d’antisémitisme dans l’Allemagne 1900, Paris, Phébus, 2002.

3 « Le mystère de l’île de Batz », La Dépêche de Brest, n°9658 , 26e année, 1er février 1912, p. 2.