Naufrageurs ou pilleurs ?

Le 14 juillet 1907, le vapeur espagnol Amboto reliant le port anglais de Newcastle à Bordeaux s’échoue sur les rochers du Karreg Hir devant Kerlouan, commune du nord-Finistère située entre Ploudalmézeau et Saint-Pol-de-Léon. Si l’équipage peut être sauvé, rien en revanche n’est possible pour le charbon que transporte le navire, toutes les tentatives de déséchouage se soldant par des échecs. Et c’est justement cela qui fait du naufrage de l’Amboto un évènement intéressant l’historien.

Carte postale. Collection particulière.

Précisons d’emblée que cette fortune de mer ne parait rien devoir à l’état de la mer. Dans son édition du 16 juillet 19071, La Dépêche de Brest précise ainsi que « le vapeur semblait s’enfoncer de plus en plus, que ses embarcations étaient à la mer ». Le bâtiment n’a donc pas sombré à pic mais a au contraire coulé lentement, permettant ainsi l’évacuation de l’équipage – promptement recueilli par le canot de sauvetage de l’Aber-Wrac’h et par le remorqueur Laborieux dépêché sur place – et la localisation précise de l’épave. Celle-ci est d’ailleurs particulièrement imposante puisque ce vapeur de la compagnie Aznor de Bilbao jauge plus de 2 2000 tonneaux et mesure 312 pieds de longueur sur 41 de large (95 mètres de long pour une dizaine de large).

Le naufrage n’ayant pas eu lieu brusquement, l’équipage a pu faire en sorte que l’Ambosto repose à proximité de la côte mais également hors des roches, de manière à épargner ses membrures et envisager un éventuel renflouement. L’épave repose en effet à l’entrée du port de Kerlouan, sur sa quille, et La Dépêche de Brest indique même qu’à marée basse « la coque est en partie hors de l’eau ». Or ceci n’est pas sans poser problème, et susciter les convoitises. Prévoyant, le capitaine demeuré seul sur son navire ne le quitte qu’après avoir retiré « les objets de valeur et les instruments nautiques », trahissant déjà certaines craintes.

Les tentatives de déséchouages – menées par la London Salvage Association – se concluant toutes par des échecs, l’épave est finalement vendue par la compagnie Aznor à un entrepreneur brestois dont l’intention est claire : récupérer ce qui peut l’être de la cargaison de charbon et vendre les quelques éléments de valeur subsistant. Mais c’est sans compter la population locale. En effet, dans un article publié le 11 septembre 19072, La Dépêche de Brest précise que depuis le naufrage « il ne s’est pas passé une nuit sans que des habitants de la côte ne se soient rendus à bord, où ils ont pillé le bateau : ils endommageaient tout d’abord les baleinières, puis s’approprièrent ce qu’ils trouvèrent à leur convenance sur le vapeur ». Puis, dans la nuit du 9 au 10 septembre, une véritable expédition comprenant 14 voiliers est montée afin de prélever « meubles, sièges, portes, pièces de machines, etc… » ainsi que de la marchandise.

Ue pratique folklorisée? Carte postale. Collection particulière.

Bien entendu, ceci ne fait pas l’affaire du nouveau propriétaire de l’épave dont la plainte est d’autant plus rapidement traitée que les naufrageurs sont rondement retrouvés, ne parvenant pas à revendre leur marchandise. La Dépêche de Brest précise même que la gendarmerie « découvrit chez plusieurs inculpés de nombreuses marchandises et, dans les champs voisins des habitations des inculpés, d’énormes trous, dans lesquels on avait enfoui du fer, du cuivre, du bois, des poteaux de mine et quantité d’autres objets »3. Or, ce qui frappe en relisant plus d’un siècle après les faits les coupures de presse relatant cette affaire est le ton particulièrement vif employé, le quotidien finistérien, de même que son homologue d’Ille-et-Vilaine L’Ouest-Eclair, condamnant sans réserve ces paysans qui, à les en croire, ne se livrent au final qu’à la pratique ancestrale du droit de naufrage, coutume les autorisant à prélever les éléments de valeur sur une épave. Tout ce passe comme si, au final, plus que ces paysans finistériens, c’est bien une pratique jugée archaïque qui était condamnée, au nom d’une certaine modernité et, en l’occurrence, d’un droit de commerce accaparé par un entrepreneur brestois.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Echouage d’un vapeur espagnol », La Dépêche de Brest, n°7818, 16 juillet 1907, p. 3.

2 « Les pilleurs d’épaves », La Dépêche de Brest, n°7905, 11  septembre 1907, p. 2.

3 « Pilleurs d’épaves », La Dépêche de Brest, n°7949, 24 novembre 1907, p. 2.