Pionnier oublié

Il est un pionnier, comme une sorte de père ou de grand-père des plus illustres marins bretons tels Eric Tabarly, Michel Desjoyeaux, Yann Eliès ou Vincent Gabard. Et pourtant bien peu se rappellent aujourd’hui son nom. Dans les années 1920, on ne compte même pas le nombre d’article que la presse bretonne lui consacre, ainsi qu’à son fidèle Firecrest, alors que natif de Laval, en Mayenne, rien ne le prédispose à courir les océans.

Le Firecrest d'Alain Gerbault. Carte postale. Collection particulière.

Détail ? Sans doute pas tant la trajectoire d’Alain Gerbault est singulière. Enfant de bonne famille, il découvre la mer sur la Côte d’Emeraude, à Dinard, sur le yacht paternel. Auteur d’une remarquable biographie d’Alain Gerbault, Eric Vibart en donne une description qui mieux que tout dépeint l’ambiance de ces sorties en mer où l’on pouvait croiser jusqu’à Chausey, à la rencontre du célèbre peintre Marin-Marie :

« Les navigations de Georges Gerbault en cravate, col mou et canotier, sont dignes de Maupassant. S’il laisse quelque fois la barre à ses fils, l’essentiel de la manœuvre est assurée par le matelot auquel il donne généreusement quelques louis quand se termine la saison des bains de mer. »1

Eprouvé jeune par la disparition de son père, Alain Gerbault s’éloigne un temps de la mer. C’est le moment des études, de l’entrée à la prestigieuse Ecole nationale des Ponts et Chaussées, et du tennis, sport qui constitue un exutoire dans lequel il excelle. Mais la Première Guerre mondiale vient tôt interrompre cette période que le futur navigateur décrira souvent comme l’une des plus malheureuses de sa vie.

Et c’est probablement le dossier de Légion d’honneur conservé aux Archives nationales qui dit le mieux l’évolution d’Alain Gerbault. Engagé volontaire en août 1914, il sert d’abord dans la cavalerie puis dans l’aviation, où il ne tarde pas à se distinguer, cette arme correspondant bien à son caractère aventureux, chevaleresque et épris de compétition. Mais lorsqu’il est décoré, en 1923, Alain Gerbault achève sa transition. Après la guerre, il participe à de nombreux tournois de tennis et récolte des places d’honneur. Mais, brusquement, au début des années 1920, il décide de changer de vie et achète un bateau, le Firecrest, avec lequel il décide de partir seul au long-cours après plusieurs mois d’entraînement. Problème, ce navire est un yacht et n’est nullement taillé pour la haute-mer, de surcroît en solitaire. Gerbault n’en a cure et parachève son image : au mieux celle d’un dandy, au pire celle d’un enfant gâté. Pourtant, lorsqu’il est proposé au rang d’officier de la Légion d’honneur en 1927, le ministre de la marine déclare que

« Monsieur Alain Gerbault a accompli depuis 1923 des exploits maritimes qui n’ont pas de précédent dans le monde. Il a traversé tout l’Atlantique et le Pacifique sur bateaux de 5 tonneaux. »

Retour de tour du monde. Carte postale. Collection particulière.

Sa traversée de l’Atlantique de Gibraltar vers New-York, trajet effectué en trois mois en 1923, au moment même où il est distingué pour sa conduite lors de la Grande Guerre, a en effet beau être des plus chaotiques, elle n’en est pas moins une première en solitaire. Vient ensuite un tour du monde, performance que seul le légendaire Joshua Slocum avait alors accomplie. De plus, Alain Gerbault n’hésite pas à publier ses aventures, construisant là sa légende et sa popularité mais surtout un modèle économique qui sera adopté par la suite par bien d’autres. Bref, un pionnier...

Erwan LE GALL

 

 

1 VIBART, Eric, Alain Gerbault. Vie et voyages d’un dandy révolté des années folles, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2001, p. 13.