Saint-Nazaire et le Ville d’Alger

Les amoureux de la mer vous le diront tout naturellement : les bateaux sont bien plus qu’un amas de tôle et de bois, propulsés – c’est selon – par un moteur ou des voiles. Ce sont des êtres vivants, dotés d’une personnalité. D’ailleurs, n’entend-on pas leur coque gémir lors d’un coup de vent ? Tous ont leur caractère, certains remontant volontiers au vent, d’autres préférant planer sur la houle. Même l’historiographie rappelle que le lancement d’un navire est bien plus que la mise à l’eau d’un bâtiment. Surtout lorsqu’il s’agit d’un paquebot.

Carte postale. Collection particulière.

C’est d’ailleurs ce que montre la lecture de l’édition du 5 février 1935 de L’Ouest-Eclair puisque la première actualité régionale traitée concerne Saint-Nazaire et le lancement aux chantiers de Penhoët du Ville d’Alger, paquebot armé par la Compagnie générale transatlantique. Il s’agit d’un superbe bâtiment en acier de plus de 135 mètres de long, doté de groupes de turbines développant 19 800 chevaux. Capable de filer 21 nœuds en croisière, il rallie Marseille à Alger en moins de vingt heures et est souvent présenté comme le Normandie de la Méditerranée.

Cette dimension est d’ailleurs très importante tant ce type de navire a aussi à voir avec le prestige national. La dimension symbolique nom de baptême du bâtiment – puisqu’à l’époque l’Algérie, c’est la France – n’échappera à personne de même que certaines considérations esthétiques. En effet, si le Ville d’Alger est doté à son lancement de deux cheminées, la seconde est factice et n’est érigée que pour assurer une silhouette équilibrée au paquebot. Simple coquetterie d’architecte naval ? Pas si sûr lorsque l’on sait que c’est aussi un peu du rayonnement de la France qui est en jeu.

Le Ville d'Alger. La deuxième cheminée est factice et sera d'ailleurs enlevée lors d'une grande rénovation au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Carte postale. Collection particulière.

Car le lancement du Ville d’Alger intervient dans une conjoncture économique difficile pour les chantiers de Penhoët. D’ailleurs, on est frappé de constater combien le discours du ministre de la marine marchande présent pour l’occasion – son épouse est la marraine du paquebot – résonne familièrement à nos oreilles :

« Les chantiers français travaillent dans des conditions plus onéreuses que la plupart des grands chantiers étrangers. Cette infériorité trouve actuellement sa cause principale, non pas dans la situation interne de la France mais dans des phénomènes internationaux, spécialement dans la dévaluation de certaines monnaies internationales. L’effort qui s’impose doit tendre à réduire l’écart des prix de revient, qui éloigne les commandes de nos chantiers et menace leur existence même. »

Dans ces conditions, comme c’est encore bien souvent le cas de nos jours, c’est la commande publique qui prend le relais afin de maintenir l’activité. Et le ministre de se féliciter d’avoir « réussi à obtenir [….] que la construction du nouveau croiseur Strasbourg qui était destinée à un arsenal de l’Etat soit confiée aux ouvriers de cette belle ville de Saint-Nazaire ».

Erwan LE GALL