Sauvetage à Molène : le naufrage du Sirdar

Il n’est pas besoin d’être un marin chevronné pour le savoir : la mer d’Iroise compte parmi les plus redoutées et naviguer par ces parages peut s’avérer extrêmement dangereux lorsque les conditions météorologiques, sans compter le sort, sont défavorables. En témoignent les nombreuses épaves qui y gisent ainsi que les 26 rescapés du Sirdar, un vapeur britannique d’une centaine de mètres de long, venu s’encastrer le 23 novembre 1910 sur la roche Melmeur, un haut-fond situé dans le chenal de Molène.

Carte postale. Collection particulière.

Le piège que constitue cette sorte de montagne sous-marine, ne laissant que peu d’eau sous la surface, ce qui constitue bien entendu un redoutable piège pour la navigation, n’est alors pas totalement inconnu. 25 ans plus tôt, c’est précisément sur ce haut-fond que s’échoue dans la nuit du 22 au 23 novembre 1885 le City of Manchester, un cargo transportant des marchandises en vrac de Calcutta à Londres.

Le Sirdar est lui parti de Taganrog, port russe de mer Caspienne situé non loin de Rostov-sur-le-Don, et transporte une cargaison de blé à Emden, ville allemande des environs de Brême. Après une croisière sans problème notable, le navire et ses 26 hommes d’équipage aborde les côtes de la péninsule armoricaine dans des conditions difficiles. Une dépression située entre l’Irlande et la Manche fait en effet craindre un sévère coup de vent, renforcé de surcroît par un important coefficient de marée1.

Malheureusement, les archives sont relativement silencieuses en ce qui concerne ce naufrage. Trouve-t-il son origine dans une erreur de navigation ou doit-il au contraire être imputé au mauvais temps ? Rien ne permet de le dire, de même que rien n’autorise à exclure une défaillance mécanique, confirmant ainsi l’angle-mort que constitue la fortune de mer dans les sources. La presse se révèle en effet bien peu utile dans une telle recherche. L’Ouest-Eclair et la Dépêche de Brest ne consacrent au naufrage que quelques lignes pour indiquer que l’équipage a pu être secouru grâce à l’action du remorqueur Atlantique, stationné à Brest mais croisant ce soir-là dans les parages de Molène. Faut-il y voir la marque d’une certaine habitude aux fortunes de mer, de tels naufrages n’ayant rien d’exceptionnel lorsqu’ils ne font pas de victimes ? Une hypothèse qui reste à débattre… A dire vrai, seules les mesures sanitaires spécifiques à prendre envers l’équipage, puisque l’Inde est frappée par le choléra, semblent intéresser la presse.

Le Sirdar, au port. Sans lieu ni date. Collection particulière.

Toujours est-il que les autorités britanniques ne l’entendent pas ainsi et comptent bien récompenser les valeureux marins partis se porter au secours du Sirdar. Au début du mois d’avril 1911, le consul fait en effet parvenir au maire de Molène une somme de 302 francs à partager entre les différents marins de l’Atlantique. Considérée comme perdue, l’épave du Sirdar est pour sa part complètement désossée par une nouvelle tempête qui frappe Molène quelques jours plus tard, au début du mois de décembre 1910. Sans doute cette destruction joue-t-elle un rôle important dans l’amnésie qui semble aujourd’hui frapper cette fortune de mer.

Erwan LE GALL

 

 

1 « Bulletin météorologique », La Dépêche de Brest, 25e année, n°9212, 22 novembre 1910.