Les pioupious d'un sou

Avec la remise du nouveau Livre blanc de la Défense au Président de la République, nombreuses sont les voix à exprimer une certaine nostalgie de l’ancien temps, et notamment de celui du service militaire. Bien entendu, il n’appartient pas à En Envor de rentrer les débats nés de cet ouvrage. Pour autant, le recours à l’archive se révèle encore une fois d’un grand intérêt pour se replonger dans la réalité des évènements regrettés.

La gare de Rennes, carte postale. Arch. Mun. Rennes: 100 Fi 13.

Il ne s’agit pas pour nous de prétendre à une histoire de la conscription – on se rapportera pour cela aux travaux d’A. Crépin et O. Roynette – mais juste de vous livrer un petit témoignage éloquent, glané aux hasards des pages de L’Ouest-Eclair. Dans son édition du 4 octobre 1909, le quotidien rennais publie un billet anonyme dépeignant l’arrivée des conscrits de l’année à la gare, prélude à leur entrée pour deux ans au « quartier ».

« Ils étaient reconnaissables, les conscrits de la classe 1909, arrivés par tous les trains et les tramways pour répondre à l’ordre de convocation qui va faire d’eux pendant deux ans des soldats, pioupiou d’un sou aux rutilantes culottes, ou artilleurs martiaux, au sombre uniforme. Ils étaient reconnaissables à leurs habits des dimanches et au léger bagage qu’ils promenaient avec eux d’un air mélancolique.
Tous ne l’étaient pas mélancolique ! Il y en avait au contraire qui semblaient tous guillerets à la pensée d’entrer à la caserne.
Quelques-uns étaient accompagnés de leurs parents, papas à la moustache grisonnante, au port grave, mamans en coiffes, dont le front semblait soucieux et qui, lorsqu’il fallut quitter l’enfant gâté, pleurèrent silencieusement dans leur mouchoir qu’elles avaient pris le plus grand possible pour qu’il fut le moins vite mouillé.
Et plus d’un jeune garçon, en disant adieu à sa bonne maman, sentit des pleurs lui monter aux yeux, pleurs vite refoulés, car quand on va être militaire, on ne pleure pas. Et puis, deux ans, ce n’est pas la mère à boire !
A la gare de l’Etat, des sous-officiers attendaient les conscrits pour les conduire à la caserne où on procéda à leur habillement et aux multiples formalités que nécessite l’incorporation. »

Ce texte est intéressant. Tout d’abord, il suggère bien la différence entre les gens de la ville et les habitants des campagnes. Surtout il rappelle combien le service militaire est alors perçu comme un rite du passage de l’adolescence à l’âge adulte. Il est vrai qu’il y a de quoi s’endurcir à rester pendant deux ans dans une caserne à apprendre ce que l’on appelait alors le « métier militaire ».  En effet, contre toute attente, cette armée de conscription était bien celle du « métier militaire » que l’on apprenait de plus ou moins bon gré pendant de long mois de service…

Erwan LE GALL