Les prisonniers de l’île longue

 

La mémoire de l’internement est, en France, incontestablement un souvenir en retrait. La genèse du mémorial du camp des Milles en est un parfait exemple, sauf à oublier la pression sociale qui s’exerce sur les pouvoirs publics en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Certes, tout n’est pas parfait – que l’on songe à des camps comme Voves ou Montreuil-Bellay dépourvus de structures muséographiques dignes de ce nom – mais il n’en demeure pas moins que depuis 2012, la France s’est dotée d’un emblématique lieu de mémoire liée à l’internement administratif.

Néanmoins, force est de constater que tel n’est pas le cas en ce qui concerne le premier conflit mondial. Bien entendu, il n’est pas dans nos intentions de nier les spécificités de l’internement de persécution pendant la Seconde Guerre mondiale.  Si des ressortissants des puissances centrales sont incarcérés en France dès les premiers jours du mois d’août, cela est bien du fait du déclanchement du conflit mais ne résulte en aucun cas d’une logique génocidaire.

Pour autant, il est indéniable que la Troisième république interne des Allemands, des Autrichiens, des Ottomans… pendant le premier conflit mondial, et ce du simple fait de leur nationalité. Il y a là un précédent d’autant plus préoccupant à l’échelle du XXe siècle que ces hommes, mais aussi leurs épouses et leurs enfants, sont parfois détenus dans des conditions de grande précarité. Or force est de constater que ce volet de l’histoire du premier conflit mondial demeure grandement méconnu. On connait certes les excellents travaux de Ronan Richard sur la question mais sa thèse – malheureusement pas encore publiée – traite moins d’internement que des représentations politiques qui s’exercent à l’égard des ressortissants des puissances centrales détenus dans l’Ouest de la France, qu’ils soient prisonniers de guerre ou internés civils1. On ne peut donc que saluer l’ouverture d’un site internet dédié à l’un de ces camps, situé en l’occurrence sur l’île longue, dans le Finistère.

Capture d'écran du site http://www.ilelongue14-18.eu

Réalisé par une vingtaine de passionnés, dont un certain nombre sévissent dans l’excellente revue Avel Gornog, dédiée à l’histoire de la presqu’île de Crozon, ce site est une réussite. Extrêmement riche, il met à la disposition du plus grand nombre des documents qui sans cela, demeureraient confinés dans les magasins des Archives départementales du Finistère ou du département de la Marine du Service historique de la défense. Il convient donc de signaler ce partenariat entre des fonds d’archives et des passionnés efficaces et de féliciter tous les acteurs de ce projet. En effet, grâce à eux, il y a fort à parier que les travaux sur ces internés en Bretagne seront à l’avenir plus nombreux.

On pourra sans doute reprocher une navigation un peu austère mais cela serait être bien pointilleux tant les liens sont riches et satisferont tout le monde : généalogistes, étudiants, chercheurs confirmés ou simples curieux.

Erwan LE GALL

http://www.ilelongue14-18.eu

 

 

1 RICHARD, Ronan, La nation, la guerre et l'exilé: représentations, politiques et pratiques à l'égard des réfugiés, des internés et des prisonniers de guerre dans l'Ouest de la France durant la Première guerre mondiale, Rennes, Thèse, 2004. Du même auteur, on mentionnera aussi « Réfugiés, prisonniers et sentiment national en milieu rural en 1914-1918. Vers une nouvelle approche de l'Union Sacrée », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 1998, n°105, p. 111-128, en ligne, ainsi que « Étrangers et indésirables en temps de guerre. Représentations, politiques et pratiques à l’égard des populations nouvelles dans l’Ouest de la France en 1914-1918 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2002, n°109, p. 147-161, en ligne.