Faire de l’histoire en 1928

Les historiens du début du XXe siècle sont-ils moins rigoureux que ceux du siècle présent ? La question, un brin provocatrice, mérite d’être posée tant nombreux sont les chercheurs actuels à avoir tendance à considérer la plupart des écrits de leurs ainés comme des sources dites secondaires et non comme des références bibliographiques. Les querelles entre l’école dite « des Annales » et celle des « méthodiques » ne sont certainement pas étrangères à ce type de considérations. Mais dans les faits, doit-on considérer les historiens du siècle passé comme des auteurs peu sérieux ? Deux articles publiés dans les colonnes de L’Ouest-Eclair par l’historien Etienne Dupont, en 1928, nous invitent à réfléchir sur la démarche utilisée par les chercheurs bretons de l’entre-deux-guerres.

Carte postale. Collection particulière.

Etienne Dupont est, au moment où il rédige ces quelques lignes, l’un des principaux historiens de la région de Saint-Malo. Auteur de nombreux ouvrages, il a également participé à la fondation de la vénérable et toujours bien portante Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo en 1899. Si, pour ce magistrat de formation, la recherche reste un passe-temps, cela ne l’empêche pas de travailler « avec une grande probité historique »1. Selon lui, la recherche doit impérativement s’inscrire dans une démarche scientifique. Il critique ainsi vigoureusement les « écrivains locaux, antérieurs à 1860 » qui, selon lui, se préoccupaient exclusivement « d’une documentation livresque » et qui « inlassablement, et, disons-le, sottement, se sont copiés les uns et les autres ». Il assure néanmoins que cette génération d’auteurs romantiques s’est éteinte « depuis une trentaine d’années », et que « des historiens de valeur » prennent désormais le relais en s’appuyant, cette fois, sur les archives.

C’est donc tout naturellement qu’Etienne Dupont s’enthousiasme du déménagement des archives municipales de Saint-Malo dans une salle au deuxième étage de l’Hôtel de Ville, puisque les chercheurs pourront désormais profiter de locaux « spacieux, clairs, [et] bien aérés ». Mais surtout, il se réjouit du fait que « la plupart de ces documents ont été classés et inventoriés » même si, à son grand regret, certaines cotes ont été modifiées à la suite du reclassement… désagrément que connaissent bien les chercheurs actuels. Il regrette enfin que certaines archives révolutionnaires aient été « épurées » – terme qui ne manquera pas de faire bondir plus d’un archiviste2 – car elles « n’étaient pas de nature à faire plaisir à tout le monde ».

Cela ne fait donc aucun doute, Etienne Dupont croit en la nécessité de dépouiller les archives. Avec la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo, il s’est d’ailleurs battu, quelques années plus tôt, pour que « les archives déposées au commissariat maritime de Saint-Servan » ne soient pas transférées à Brest. Il se dit d’ailleurs prêt à s’engager dans un combat du même genre afin d’obtenir le transfert des archives hospitalières « dans les nouveaux locaux aménagés à l’Hôtel de Ville »3. Et pour cause, si ces dernières constituent une mine d’informations particulièrement précieuse puisqu’elles renferment « des documents très curieux, très variés et très piquants sur la vie des Malouins au cours des siècles », elles restent difficilement consultables. A l’époque, elles sont encore conservées « dans le bureau de M. le receveur administrateur des Hospices », et n’ont toujours pas été « l’objet d’un classement sérieux et méthodique ».

Vue de la ville fortifiée de Saint-Malo. Carte postale. Collection particulière.

A bien des égards, les articles signés de la plume d’Etienne Dupont nous montrent à quel point les préoccupations des chercheurs du siècle passé sont similaires à celles de leurs héritiers. Certes, tous les historiens de l’entre-deux-guerres ne possèdent pas la même rigueur que celle prônée par Etienne Dupont. Mais de nos jours, ne peut-on pas en dire autant de certains « historiens » ?

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « Les archives municipales de Saint-Malo », L’Ouest-Eclair, 8 mai 1928, p. 6.

2 Les archivistes préfèrent en effet utiliser le terme d’élimination.

3 « Les archives hospitalières de Saint-Malo », L’Ouest-Eclair, 14 mai 1928, p. 4-5.