L’autre CSA : le Conseil supérieur des Archives

Le 5 mars 2016, peu après avoir quitté la présidence du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré est nommé à la tête du Conseil supérieur des Archives, succédant aux historiens René Rémond (1988-2007) et Georgette Elgey (2007-2016). L'annonce, à peine publiée, suscite de nombreuses réactions de la part des internautes. Comme en témoigne l'article publié sur le site du monde.fr, les commentaires sont presque unanimes : « encore un truc qui sert à rien », « un bel exemple d'un des postes fictifs qui sont trop nombreux dans notre République ! », « République bananière où on se recase entre coquins et copains »... Une nouvelle fois, les « haters » se sont déchaînés sur la toile pour décrier une institution consultative peut-être méconnue, mais pourtant très utile.

Carte postale. Collection particulière.

Crée en 1988, le Conseil supérieur des Archives se réunit au moins une fois par an afin d'émettre un avis consultatif sur la politique du ministre de la Culture en matière d'archives publiques et privées. Comme le rappellent les Archives de France, il se prononce ainsi « sur les programmes de publication et de recherche, sur les questions liées au développement des nouvelles technologies dans les services d'archives, ainsi que sur le classement des archives privées en tant qu'archives historiques ». Le Conseil est naturellement composé d'archivistes mais également de « personnalités qualifiées », dont de nombreux historiens (Antoine Prost, Raphaëlle Branche, Annette Wieviorka, Claude Gauvard...) mais aussi des généalogistes. On ne peut que saluer cette volonté d'associer toutes celles et ceux qui contribuent à la recherche : de « l'archéologue de la tradition écrite », l'archiviste, jusqu'au chercheur qui publie des ouvrages historiques. Sur le principe, cette organisation est très profitable à la recherche puisqu’elle permet de confronter les avis divergents sur les questions les plus complexes, comme ce fut le cas en 2002 à propos des éliminations d'archives1.

Lors de la réunion inaugurale du 3 mai 2016, la ministre de la Culture et de la Communication Audrey Azoulay a résumé les défis que rencontrera le nouveau Conseil supérieur des Archives : « Il s’agit aujourd’hui de faire face au bouleversement numérique, politique et scientifique de ce continent de la mémoire que sont les archives de la Nation ». En effet, outre la nécessité de communiquer au plus grand nombre les archives publiques et privées en les numérisant, les archivistes doivent désormais appréhender une véritable révolution, celle des archives électroniques. Or comment conserver, protéger et sécuriser ces nouvelles archives sur le long terme? Et, tout simplement, comment collecter ces documents que Jean-Louis Debré qualifie de « déterminants du mécanisme de la prise de décision » tels que peuvent l'être les « courriers électroniques, [les] fichiers stockés sur les ordinateurs, mais aussi [les] simples conversations entre hommes d’État, qui parfois sont lourdes de conséquences, et pourquoi pas [les] textos, qui sont parfois les seules traces d’une décision politique »… Bien entendu, les archivistes non pas attendu la nomination de l'ancien ministre de l'Intérieur pour se poser toutes ces questions. Elles sont déjà l’objet de nombreuses réflexions dont l’issue permettra de ne pas perdre les précieuses données qui nous permettent de faire avancer la connaissance historique.

Installation du nouveau Conseil supérieur des archives. MCC / Mehrak.

Enfin, la ministre rappelle « [qu']au moment où nous assistons à une guerre des mémoires », le Conseil supérieur des Archives devra également mener d’intenses réflexions sur la place que doivent occuper les archives « en matière d’éducation à la citoyenneté ». On comprend mieux dès lors l'importance de la gestion sereine et collégiale des archives pour éviter de construire une énième mémoire nationale mais bien pour réaliser une histoire scientifique, juste, et donc apaisée. Loin d'être une planque dorée faite sur mesure pour Jean-Louis Debré, le Conseil supérieur des Archives a donc une véritable utilité, à condition néanmoins qu’on lui en donne les moyens et qu'il soit écouté. Mais ceci est un autre débat…

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Il s’agit en effet d’un sujet sensible entre les archivistes et les historiens. Et pour cause, comment trouver le juste équilibre entre le besoin d’éliminer une partie des innombrables kilomètres linéaires de documents produits chaque année par les administrations, tout en conservant un maximum de données historiques ? Sur ce point, voir notamment le Cadre méthodologique pour l'évaluation, la sélection et l'échantillonnage des archives publiques publié en juillet 2014.