La Liberté du Morbihan ou la chute inéluctable d’un quotidien centenaire

Le 5 août 1944, les premières communes morbihannaises sont délivrées de l’occupant allemand. Conformément aux textes législatifs du gouvernement provisoire, le préfet Jacques Onfroy ordonne l’interdiction de tous les journaux ayant continué de paraître sous l’Occupation. Parmi les titres concernés, on retrouve notamment Le Nouvelliste du Morbihan. Mais, comme pour la majorité des journaux concernés, son interruption n’est que momentanée. De ces cendres naît en effet La Liberté du Morbihan.

La fin des années 1940: l'apogée de La Liberté du Morbihan. Collection particulière.

La transition entre les deux journaux ne dure que quelques heures. Dès le 5 août, l’ancienne rédaction du Nouvelliste du Morbihan est placée sous le contrôle de Paul Chenailler, héros de la Résistance morbihannaise. Pouvant travailler sereinement, elle boucle dès le lendemain une nouvelle édition qui prend place dans les kiosques comme si de rien n’était. Le quotidien est toutefois renommé Le Morbihan Libéré avant de prendre, le 22 août, son appellation définitive : La Liberté du Morbihan. Les nouveaux dirigeants reprennent sans hésiter le cap économique que poursuivaient leurs prédécesseurs durant l’entre-deux-guerres. Le journal souhaite en effet contester la domination de Ouest-France dans le Morbihan, titre ayant-lui-même succédé au mastodonte L’Ouest-Eclair. Le quotidien maintient d’ailleurs sa publication en soirée de façon à se distinguer de son rival. Avec près de 170 salariés au tournant des années 1950, il atteint partiellement ses objectifs dans le département1. Le journal parvient même à séduire les lecteurs du Finistère, où il s’implante progressivement2.

Mais ce développement rapide cache une réalité bien moins séduisante. La Liberté du Morbihan rate complètement le tournant technologique de l’après-guerre. Dans les années 1960, nombreux sont les lecteurs à considérer le quotidien comme « un journal de vieux » 3. Alors que ses principaux concurrents sont déjà passés à la quadrichromie, la direction s’entête à imprimer ses journaux sur les mêmes rotatives qu’elle utilisait déjà dans les années 1920. Pire, au même moment, l’implantation du Télégramme dans le Morbihan entraine une chute des abonnements.

Au début des années 1980, conscient de son inéluctable déclin, La Liberté du Morbihan tente de rajeunir ses pages en les faisant imprimer sur les rotatives du groupe Presse-Océan. Mais la modernité à un prix. Le quotidien est contraint de sortir en kiosques le matin, ce qui lui fait perdre définitivement le dernier atout qui le différenciait de ses concurrents directs. Les abonnements continuent inexorablement de baisser. En 1995, le journal ne tire plus qu’à 5 300 exemplaires. Il ne peut plus lutter contre les géants dont la diffusion atteint 766 291 exemplaires pour Ouest-France et 182 328 pour Le Télégramme4. Le quotidien ne compte désormais plus que 26 employés, soit sept fois moins qu’à son apogée5.

La une du dernier numéro de La Liberté du Morbihan. Collection Gaby Le Cam / Société d'archéologie et d'histoire du pays de Lorient.

Face aux difficultés financières, la direction décide de jeter l’éponge. Le dernier numéro paraît le 28 octobre 1995, 51 ans après le premier numéro, 112 ans après la naissance du Nouvelliste du Morbihan et 138 ans après l’apparition du Courrier de Bretagne dont il se considère l’héritier6. Ultime pied de nez à son ennemi Ouest-France, le quotidien morbihannais incite ouvertement ses lecteurs à se tourner vers Le Télégramme. Choisir ce dernier, c’est en effet « refuser les inconvénients d’une presse sans concurrence, c’est favoriser le pluralisme de l’information en Morbihan »7. Une page vient alors définitivement de se tourner dans ce département.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Il était une fois La Liberté du Morbihan », Libération, 14 novembre 1995, en ligne.

2 LE CAM, Gaby, « Du premier Nouvelliste du Morbihan à la dernière Liberté du Morbihan », Société d’archéologie et d’histoire du pays de Lorient, 2005, en ligne.

3 « Il était une fois La Liberté du Morbihan », Libération, 14 novembre 1995, en ligne.

4 Ibid.

5 Ibid.

6 « Le mot de la fin », La Liberté du Morbihan, 28-29 octobre 1995, p. 1.

7 « Le Télégramme, la liberté de s’informer », La Liberté du Morbihan, 28-29 octobre 1995, p. 7.