Les bulletins de l’amicale de Mauthausen
Démographie oblige, les associations d’anciens combattants sont bien souvent en train de mourir. Cela est notamment le cas pour les associations en lien avec la Seconde Guerre mondiale, celles-ci disparaissant ou se plaçant sous la tutelle de grandes fondations, de la Résistance, de la France libre ou encore pour la mémoire de la déportation. Or avec ces institutions disparaissent également des ressources parfois inestimables. Aussi ne peut-on que saluer l’initiative de l’amicale des anciens déportés de Mauthausen qui diffuse en ligne les 350 numéros de son bulletin publié à partir de 1945, source qui peut rendre de grands services à quiconque s’intéresse à ce camp de la mort nazi situé en Autriche.
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Entête du bulletin publié par l’amicale de Mauthausen. |
Rustique, l’interface de consultation n’en est pas moins fonctionnelle et pratique. En quelques clics on peut ainsi télécharger les bulletins au format PDF, numérisés dans une excellente définition. Le site est de surcroît doté d’un index général regroupant l’ensemble des articles publiés de 1945 à 2015. Autant dire que tout a été fait pour faciliter la recherche et exploiter au maximum ces précieuses archives.
Le numéro 201 publié en juin 1980 dit d’ailleurs bien ce que l’on peut tirer d’une telle source. Titrant sur le congrès national qui doit se tenir à Rennes, ville décrite comme étant la « capitale de la Bretagne, cette fière province de France, haut lieu de la Résistance, terre de gloire et terre de sang, avec ses héros et ses martyrs », le bulletin est bien évidemment une source essentielle pour quiconque souhaite faire l’histoire de cette association. Mais ce même numéro rappelle que ces périodiques sont également une source précieuse pour qui s’intéresse à la mémoire de la déportation. Savoureux est à cet égard le court entrefilet faisant part de la publication du Tunnel d’André Lacaze, texte comptant assurément aujourd’hui parmi les témoignages les plus célèbres concernant Mauthausen, et en l’occurrence le sinistre kommando de Loibl-Pass1.
Mais ces bulletins sont également une source indispensable pour qui s’intéresse au système concentrationnaire nazi en ce qu’ils regorgent de notices biographiques et, plus globalement, de listes de noms. Les premiers numéros publient d’ailleurs la « liste des déportés français décédés au camp de Mauthausen », liste dont il est précisé qu’elle « établie d’après les registres allemands » et qui constitue assurément un précieux complément au livre-mémorial publié par la Fondation pour la mémoire de la déportation. Les numéros suivants regorgent quant à eux d’annonces qui constituent autant d’indices sur le martyr de ces victimes des camps de la mort mais aussi, le cas échéant, sur leur vie après 1945, objet historique pour l’heure peu étudié mais pourtant passionnant.
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Mirador au camp central de Mauthausen. Carte postale. Collection particulière. |
On le voit, ces bulletins à l’apparence modeste sont une source extrêmement précieuse qui intéressera tant les historiens travaillant sur Mauthausen et sa nébuleuse de camps satellites que les généalogistes partis sur la trace d’un déporté. Ils constituent de surcroît un vibrant témoignage permettant d’approcher l’hydre nazie puisqu’il y est question du camp central mais aussi de ses multiples kommandos. Or si le premier est bien connu, notamment grâce aux travaux de Michel Fabreguet et David Wingeate Pike, les seconds gagneraient bien souvent à faire l’objet de monographies qui constitueraient autant de précieux outils pour les historiens du système concentrationnaire2.
Erwan LE GALL
1 LACAZE, André, Le Tunnel, Paris, Julliard, 1978. Notons que l’auteur dédie ce livre aujourd’hui érigé au rang de véritable classique à « la mémoire d’André Ménard, étudiat rennais, mort à 23 ans dans son uniforme de bagnard de Mauthausen, les armes à la main ».
2 FABREGUET, Michel, Mauthausen : camp de concentration national-socialiste en Autriche rattachée (1938-1945), Paris, Honoré Champion, 1999 et WINGEATE PIKE, David, Mauthausen. L’enfer nazi en Autriche, Toulouse, Privat, 2004. |