La nuit de Séville vue par la presse bretonne

Le 8 juillet 1982, les footballeurs français et allemands écrivent l’une des plus célèbres pages de l’histoire du sport à Séville, en Espagne. En demi-finale de la Coupe du monde, les coéquipiers de Michel Platini s’inclinent devant la République fédérale d’Allemagne (RFA) aux tirs aux buts. Plus que le résultat, les Français conservent, avec injustice, le souvenir de la terrible faute commise par le gardien de but Harald Schumacher sur Patrick Battiston. Mais si ce geste est encore unanimement condamné aujourd’hui, il ne l’est pas immédiatement par les journalistes, comme en témoigne le traitement médiatique qui lui est réservé par la presse bretonne.

Les titulaires français de la nuit de Séville. Patrick Battiston, entré à la 50e minute de jeu, ne figure pas sur cette photographie. Collection particulière.

La présence de l’équipe de France en demi-finale de la Coupe du monde 1982 relève presque du miracle comme le rappelle La Liberté du Morbihan. Selon le quotidien lorientais, les Bleus sont parvenus à inverser les critiques à leurs égards. Leur cote a progressé au fil des matches au point de connaitre « la même ascension vertigineuse que celle du dollar depuis un an »1. Mais le journaliste n’est pas dupe.  Il sait parfaitement que, « sur le papier », le « football français ne peut se permettre de rivaliser avec le football allemand ». Pas défaitiste pour autant, il croit au contraire que « sur un match, tous les espoirs sont permis ». Le rêve semble d’autant plus accessible que la RFA s’est qualifiée au premier tour du tournoi à la suite d’un « simulacre de match » conte l’Autriche, quelques jours seulement après sa surprenante défaite contre l’Algérie2. Mais le miracle n’a pas lieu à Séville. Si la France brille, elle doit finalement s’incliner face à son redoutable adversaire.

Le lendemain du match, la presse bretonne est euphorique. Pour La Liberté du Morbihan, les joueurs surpassent la génération menée par Just Fontaine qui s’était inclinée au même stade de la compétition en 19583. Du côté de Rennes, Ouest-France dresse un constat similaire qui se résume en une phrase : « ils nous ont fait rêver »4. L’attentat commis par Harald Schumacher sur Patrick Battiston est à peine évoqué. Dans le récit qu’il fait du match, le correspondant du journal rennais précise seulement que le latéral français s’est fait « méchamment contré » par le gardien allemand. Il ne s’étend pas davantage sur l’action. Son confrère de La Liberté du Morbihan est à peine plus loquace, précisant seulement que le portier s’est permis « de descendre littéralement le Stéphanois qui en avait pour son compte. Pauvre Battiston ! » 5

Le traitement de la presse écrite a de quoi surprendre tant il diverge des images que les Français ont pu voir la veille à la télévision. Il faut en effet attendre près de 48 heures pour que les journaux s’emparent à leur tour du scandale de Séville. Publiant une photographie du « geste inadmissible du Schumacher », La Liberté du Morbihan réclame « plus jamais ça ! »6. Pour Ouest-France, « aucun arbitre censé n’eut toléré qu’un joueur de champ puisse descendre un adversaire. »7

Les titulaires allemands de la nuit de Séville. Harald Schumacher est en rouge. Collection partuculière.

Un tel décalage chronologique s’explique en grande partie par le fait que, contrairement aux téléspectateurs, les journalistes « les plus éloignés » n’ont pas eu le loisir de voir le ralenti de l’action8. En outre, l’envoyé spécial d’Ouest-France reconnait qu’il avait « les yeux rivés sur le ballon » au moment de l’action, et qu’il n’a pu consulter son « magnétoscope » que tard dans la nuit9. Malheureusement, pour des contraintes d’impression, il avait déjà envoyé son article à la rédaction. Le journaliste fait d’ailleurs amende honorable en reconnaissant

« qu’il est malaisé à chaud, et pressé par le temps, d’essayer d’analyser les choses sur le fond, tiraillé à la fois par le devoir professionnel de l’exactitude et, en secret, transformé obligatoirement en supporteur inconditionnel par la valeur de l’équipe de France. » 10

En étant désormais « sévères » contre l’arbitre à qui ils incombent la responsabilité de la défaite de leur équipe, les journalistes mettent de côté leur objectivité. Qu’importe, la légende est en marche.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 « Pour effacer 24 ans d’incertitudes », La Liberté du Morbihan, 8 juillet 1982.

2 « Pour effacer 24 ans d’incertitudes », La Liberté du Morbihan, 8 juillet 1982.

3 « 58 est mort – Vive 1982 ! », La Liberté du Morbihan, 9 juillet 1982.

4 « Ils nous ont fait rêver », Ouest-France, 9 juillet 1982.

5 « 58 est mort – Vive 1982 ! », La Liberté du Morbihan, 9 juillet 1982.

6 « La tête haute, le cœur meurtri », La Liberté du Morbihan, 10-11 juillet 1982.

7 « Français, si vous aviez su… », Ouest-France, 10-11 juillet 1982.

8 « La tête haute, le cœur meurtri », La Liberté du Morbihan, 10-11 juillet 1982.

9 « L’agression de Schumacher », Ouest-France, 10-11 juillet 1982.

10 « Autopsie d’une défaite injuste », Ouest-France, 10-11 juillet 1982.