La précision olympique de Léon Moreaux (1852 - 1921)

Bien que méconnu, Léon Moreaux demeure une des principales figures sportives bretonnes du XXe siècle. Né à Féron (Nord) le 10 mars 1852, il embrasse une carrière militaire qui le mène, au hasard des affectations militaires, à Rennes, d’abord au 10e, puis au 7e régiment d’artillerie. Cette ville reste dès lors liée à son destin : il s’y marie en 1890 puis y fonde une famille composée de trois enfants1.

Une reconnaissance sportive internationale

Doté d’une excellente précision au tir, Léon Moreaux participe à de nombreuses épreuves sportives. Il devient ainsi champion de France à huit reprises (quatre au fusil et quatre au revolver2). Mais son succès ne se limite pas aux frontières de l’hexagone. Il obtient en effet un titre de champion du monde en Italie, victoire qui lui vaut de recevoir la croix de chevalier de l’Ordre de la Couronne d’Italie par le Roi en personne3.

Léon Moreaux.

Si les Jeux Olympiques n’ont pas encore le prestige qu’on leur connaît aujourd'hui, ils permettent néanmoins à Léon Moreaux de se mesurer aux meilleurs tireurs de son époque (les Suisses Konrad Stäheli et Emil Kellenberger ou encore le Norvégien Gudbrand Skatteboe ...). En 1900, le Rennais d’adoption intègre l’équipe de France afin de participer aux Jeux organisés en marge de l’Exposition Universelle parisienne. Sur le champ de tir de Satory (Versailles), il confirme ses bonnes dispositions en obtenant deux podiums4. L’absence de la discipline – et de la France – aux Jeux de 1904 organisés à Saint-Louis (États-Unis), l’empêche néanmoins de confirmer ses bonnes performances. Ce n’est que partie remise. En 1906, aux Jeux intercalés d’Athènes, il triomphe à deux reprises et accède à trois autres podiums5. Malheureusement pour sa postérité, cette consécration sportive n’est pas reconnue par le Comité international olympique qui s’est opposé à l’organisation de ces Jeux dissidents.

Une action militante pour développer le tir en Bretagne

Spécialiste reconnu, Léon Moreaux contribue à la théorisation de sa discipline en collaborant à de nombreux ouvrages scientifiques6. Une notoriété qui lui permet également de s’impliquer énergiquement pour le développement de son sport dans la région7.

Il faut dire qu'à l'époque le tir est bien plus qu’un loisir, c’est aussi un moyen de former les jeunes et de maintenir au niveau les plus anciens. En effet, les hommes sont mobilisables et, à ce titre, doivent savoir se servir d’une arme – et pas n'importe laquelle, de nombreuses compétitions s'effectuent avec le fusil Lebel utilisé par l'Armée française. Convaincu de cette utilité, un journaliste du Petit-Parisien considère en 1913 le tir comme un « effort individuel nécessaire pour se maintenir en haleine, afin de pouvoir, le cas échéant, reprendre rapidement et utilement sa place dans l’armée nationale »8. Dans le même ordre d’idée, il existe des sports aujourd’hui disparus mais intimement liés aux besoins militaires d’une époque. On peut ainsi faire référence à l’escrime à la baïonnette, véritable sport possédant ses propres règles et ses propres championnats9.

Collection Bernard Simon.

Conscient de cette nécessité, Léon Moreaux fonde en 1892 la société de Tir La Duguesclin qu’il préside jusqu’à sa mort et dirige pendant de nombreuses années la Fédération des Sociétés de tir de l’Ouest qui s’étend sur treize départements. Preuve de la popularité de ces sociétés, la première dénombre 2 200 adhérents (en 190810) et la seconde 22 000 (en 191311). De par ses fonctions, il organise de nombreuses réunions dont, tous les ans, le concours international disputé aux Gayeulles (Rennes).

Archives départementales d'Ille-et-Vilaine: 6 Fi Rennes 1261.

Mais sa principale priorité est la jeunesse. Il milite activement pour que toutes les cours des écoles soient équipées de stands de tirs. Dans un courrier adressé au sénateur-maire de Rennes, Eugène Pinault, en 1907, il justifie le bien-fondé d'une telle mesure : « nous devons faire chacun dans la mesure de nos moyens les plus grands efforts pour faciliter le service de deux ans ... »12.

Une action mis entre parenthèse par la Guerre

Cette volonté de défendre la France le rattrape en 1914. Il décide en effet de reprendre du service à 62 ans. Comme de nombreux pères de famille il est affecté par la mort de son fils aîné, âgé de 24 ans, le 26 avril 1916 à Mourmelon-le-Grand dans la Marne13. Léon Moreaux termine néanmoins la guerre sous l’uniforme et atteint le grade de commandant.

De retour à Rennes, il œuvre de nouveau au développement de son sport. Pour le féliciter de son action, il reçoit, le 15 août 1920, à l’occasion du 23e Grand concours international organisé aux Gayeulles, la grande Médaille d’or de l’Académie des sports des mains du ministre de la Guerre, André Léfèvre14. Cette décoration vient compléter une collection de récompenses déjà riche : il est Officier de l'Instruction publique, décoré de la Croix de guerre et Officier de la légion d’honneur15.

Quelques mois plus tard, le 11 novembre 1921, Léon Moreaux décède dans sa ville d’adoption et y est enterré quatre jours plus tard16. Près d'un siècle après, il demeure l'une des figures sportives les plus importantes de la Bretagne.

Yves-Marie EVANNO

 

1 Archives nationales, LH/1931/23 : Dossier Léon Ernest Moreaux.

2 « Le grand concours de tir de Rennes », Le Petit-Parisien, n°13296, 25 mars 1913, p. 4.

3 « Le commandant Léon Moreaux est mort », L'Ouest-Eclair, n°7286, 12 novembre 1921, p. 3.

4 Deuxième au 25 mètres pistolet feu rapide 60 coups et troisième au 50 mètres pistolet d'ordonnance par équipes.

5 Victoires aux 20 mètres Pistolet et 200 mètres Carabine militaire; deuxième au 25 mètres Pistolet feu rapide; troisème aux Carabine libre, position libre et Carabine libre par équipes.

6 Il signe la préface du livre de trois médecins AVEN, Dr, LEFEUVRE, Charles et LEFEUVRE, Charles (fils), De la respiration chez le tireur, Rennes, F. Simon, 1909 et cosigne GRUET, Elie, MOREAUX, Léon, Instruction individuelle du tireur et éducation du système nerveux, Rennes, R. Chapelot, 1905.

7 « Le concours de tir de Rennes », L'Ouest-Eclair, n°3035, 5 mai 1907, p. 1.

8 « Le grand concours de tir de Rennes », Le Petit-Parisien, n°13296, 25 mars 1913, p. 4.

9 Pour plus de détails sur ce point on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, (à paraitre).

10 GAY-LESCOT, Jean-Louis, « Sociétés scolaires et postscolaires de tir en Ille-et-Vilaine », in RENAUD, Pierre (dir.), Les athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870/1914, Paris, L'Harmattan, 1998, p. 133.

11 « Le grand concours de tir de Rennes », Le Petit-Parisien, n°13296, 25 mars 1913, p. 4.

12 Sur le sujet, on se permettra de renvoyer à GAY-LESCOT, Jean-Louis, art. cit. , p.125-138.

13 « Tableau d'Honneur des membres de l'Union Morts pour la Patrie », Le Tir national. Organe officiel de l'Union des Sociétés de Tir de France, 31e année, n°10,  27 mai 1916, p. 1.

14 « M. André Lefèvre préside à la finale du Concours international de tir », L’Ouest-Eclair, n°7243, 16 août 1920, p.1-2.

15 Archives nationales, LH/1931/23 : Dossier Léon Ernest Moreaux.

16 « Le commandant Léon Moreaux est mort », L'Ouest-Eclair, n°7286, 12 novembre 1921, p. 3.