Les jeux de Chamonix : une belle carte postale ?

C’est un article anodin, au fin fond de la rubrique sportive de L’Ouest-Eclair du 6 février 1924. En quelques lignes, d’une remarquable sècheresse, le grand quotidien rennais annonce la clôture par le baron Pierre de Boubertin des Jeux olympiques d’hiver de Chamonix. A la lumière de la débauche médiatique et financière qui accompagne aujourd’hui ces mêmes Jeux olympiques d’hiver, on ne peut qu’être surpris par un tel traitement.

Pourtant, nombreuses sont les explications qui peuvent être avancées. L’histoire même de ces épreuves est assez confuse du fait de la concurrence avec les Jeux nordiques organisés par les pays scandinaves et du souvenir tenace de la Semaine internationale des sports qui se déroule également à Chamonix. L’ambiguïté est telle que le site internet du Comité international olympique indique toujours que les épreuves qui se déroulent du 25 janvier au 5 février 1924 dans la station de Haute-Savoie seront « rétrospectivement reconnues comme les premiers Jeux d’Olympiques d’hiver », même si l’expression est abondamment utilisée dans la presse de l’époque. Gageons que ces subtilités ne plaident pas vraiment en faveur de la lisibilité de l’évènement…

Deux médaillés français: Andrée Joly et Pierre Brunet. Comité international olympique.

Celui-ci est d’autant plus difficile à traiter pour un journal comme L’Ouest-Eclair que la Bretagne n’est naturellement pas un terrain d’élection des « sports d’hiver ». La Vie sportive, du nom de la rubrique du quotidien rennais, se conjugue alors essentiellement à la mode locale et, en ce 26 janvier 1924, lendemain de l’ouverture des Jeux, c’est la rencontre de coupe de France de football entre le Stade bordelais et l’Union sportive servannaise qui fait les gros titres. La même remarque peut d’ailleurs être formulée à propos de La Dépêche de Brest qui s’enflamme (déjà !) pour les exploits d’En Avant Guingamp. Une vignette est bien apposée en première page de L’Ouest-Eclair mais cela tient plus de l’information exotique que du réel compte rendu sportif.

Enfin, une autre dimension explique ce faible traitement médiatique dans les journaux bretons. Cela est bien connu, le sport est un élément de soft-power ainsi que le support de fiertés qui s’emboitent à la manière de poupées gigognes, de la petite à la grande patrie. Or les résultats des champions tricolores sont assez mitigés lors de ces Jeux olympiques d’hiver, la France ne se classant que 8e sur 11 devant la Belgique et, plus surprenant encore, le Canada. D’ailleurs, aucun sportif breton n’est engagé ce qui, là encore, ne plaide pas pour un traitement médiatique important. Seules trois médailles de bronze sont rapportées au bercail, en curling, en patinage artistique et en biathlon, alors dénommé « patrouille militaire ». Autant de disciplines assez confidentielles si on les compare au football ou encore au cyclisme, sports toujours très populaires en Bretagne.

Epreuve de hockey-sur-glace pendant les Jeux olympiques d'hiver de 1924. Comité international olympique.

En définitive, si ces Jeux olympiques constituent bien évidemment une formidable vitrine pour ces « sports d’hiver », ce n’est que bien des années plus tard, une fois ces fameux « sports d’hiver » réellement popularisés, y compris dans une région littorale comme la Bretagne, que ces compétitions prendront l’importance médiatique qu’on leur connait. En 1924, la presse bretonne ne saisit pas l’importance de cet évènement qui parait alors bien lointain et exotique. Il est d’ailleurs assez intéressant de lire la phrase qui conclue l’article que L’Ouest-Eclair consacre au dernier jour de la compétition, veille de remise des médailles et de clôture de ces jeux : « le temps est toujours magnifique, mais il fait très froid ». Un propos de carte postale plus que de journalisme sportif.

Erwan LE GALL