21 février 1916, début de la bataille de Verdun : un non-événement ?

Lorsqu’au matin du lundi 21 février 1916, un déluge de feu s’abat sur les lignes françaises situées sur un front s’étalant de Malancourt aux Eparges ; personne n’imagine que cette bataille de Verdun qui s’ouvre durera dix mois, coûtera la vie à plus de 300 000 soldats et fera plus de 500 000 blessés. Du haut de ce lourd bilan, celle-ci demeure encore un siècle plus tard l’une des plus symboliques de la Grande Guerre et s’incarne dans de nombreux lieux de mémoire : l’ossuaire de Douaumont, la tranchée des baïonnettes, la voie sacrée reliant Bar-le-Duc au champ d’honneur, Pétain devenu « l’homme de Verdun » etc. Cependant, on peut interroger la perception de cet événement par l’arrière – en Bretagne notamment –  dans les heures et les jours qui suivent le déclenchement de l’offensive allemande. Ce 21 février 1916 ne serait-il pas un non-événement ?

Carte postale. Collection particulière.

Dès le soir du début des combats au « nord de Verdun », la Dépêche de Brest cite les communiqués officiels qui notent une « certaine activité » des deux artilleries, alors que les autres fronts sont relativement calmes. Mais il faut attendre le surlendemain – 23 février – pour que le quotidien finistérien évoque à nouveau, en quelques lignes, ces combats : « Dans la région au nord de Verdun, le bombardement ennemi, énergiquement contre-battu par nous, a continué au cours de la nuit. Les actions d’infanterie se sont développées sur un front d’ensemble de 15 kilomètres. » Le 24, la Dépêche précise que la « lutte » s’étend de la rive droite de la Meuse jusqu’au sud d’Ornes et donne quelques éléments sur les combats et mouvements de troupes de la veille.

Si ces informations semblent laconiques et sans grande emphase, il faut bien avouer que c’est encore pire dans les autres journaux bretons. Passons rapidement sur l’hebdomadaire Le Moniteur des Côtes-du-Nord qui, en date du samedi 26 février, ne donne à ses lecteurs qu’une compilation au jour le jour des communiqués officiels de la semaine écoulée. Le Nouvelliste du Morbihan, quant à lui, n’évoque le début des combats à Verdun que par allusion, en notant le mercredi 23 : « sur le reste du front, la journée a été marquée par une assez grande activité des deux artilleries. » Le lendemain en revanche, le quotidien morbihannais est plus disert et semble donner une mesure dramatique à ces combats :

« Mais c’est principalement au nord de Verdun que se porte le grand effort de nos agresseurs. Des deux côtés de la Meuse, c’est une canonnade formidable et qui ne cesse de jour ni de nuit. »

Quel contraste avec la prose de la veille ! Ce même jour, le quotidien cite les communiqués officiels qui précisent que « les Allemands ont dirigé au cours de la journée [du 23] une série d’action d’infanterie extrêmement vives sur notre front, entre Brabant-sur-Meuse et Hertebois ». Avant de préciser que celles-ci ont été repoussées.

Carte postale. Collection particulière.

Plus intéressant est encore le cas du grand quotidien breton L’Ouest-Eclair alors que, chaque jour, un point sur « la situation » s’affiche pleine page à la une du journal. Les combats de Verdun ne sont aucunement relatés en ce « 568e jour de la guerre » qu’est le mardi 22 février 1916. Alors que la veille le journal rennais évoque longuement la perte des colonies africaines allemandes du Togoland et du Cameroun, ce sont encore des théâtres lointains d’opération qui font l’actualité le 22, avec « une nouvelle tentative des Allemands pour franchir le canal de l’Yser au nord-ouest d’Ypres », ainsi que la situation dans le Caucase. Ce n’est que le jeudi 23 que le journaliste chargé de cette rubrique « voi[t] dans le communiqué officiel deux passages qui méritent de retenir tout spécialement l’attention ». Si l’un est relatif à une offensive allemande avortée (mais faisant diversion) dans le secteur de la Somme, l’autre concerne le « vigoureux duel d’artillerie, signalé dans tout la région de Verdun et qui a été suivi dans la soirée d’une attaque violente à Brabant-sur-Meuse ». Le secteur est alors décrit comme un « môle inébranlable [qui] a toujours été, depuis le début de la guerre, l’un des principaux objectifs des Allemands ». Le lendemain, jeudi 24, le journaliste parait prendre conscience de ce que débute là une nouvelle grande bataille, puisqu’il affirme voir dans les combats de la veille, « le prélude d’une très sérieuse action d’envergure ». Il justifie son propos en accordant une « importance stratégique » à Verdun, où « se nouent les deux grandes courbes qui forment, à gauche et à droite, l’ensemble du front occidental. Mais le propos se veut toutefois rassurant puisque le journaliste affirme que « jusqu’ici le résultat obtenu par l’ennemi est réellement insignifiant en comparaison de l’effort produit et des sacrifices qu’il a causés ». Il pense même que « bien que l’offensive ennemie ne paraisse pas encore brisée, la solidité de notre résistance au premier choc nous autorise à attendre la suite en toute confiance ».

Une résistance française qui devra pourtant durer jusqu’au mois décembre 1916, pour mettre fin à cette offensive allemande débutée le 21 février, dix mois auparavant. Et ce, sans compter les combats de l’année 1917 pour dégager la rive ouest de la Meuse.

Thomas PERRONO