Quelques notes sur Jaurès et la Bretagne

C’est un 3 septembre, en 1859, que naît à Castres Jean Jaurès. A n’en pas douter, la sous-préfecture du Tarn célèbrera aujourd’hui cet anniversaire, avant de se préparer pour celui, d’envergure, qui se tiendra l’an prochain, à l’occasion du centenaire de la mort du tribun socialiste. Mais pourquoi évoquer ici, sur ces pages essentiellement consacrées à la Bretagne, la vie d’un homme dont les attaches armoricaines ne sont pas évidentes ?

Jean Jaurès lors du procès Dreyfus à Rennes. Carte postale (détail). Collection particulière.

Il est vrai que Jaurès est un homme dont les racines renvoient au sud-ouest et que rien dans sa vie ne semble l’amener vers cette région de l’ouest de la France. D’ailleurs, il est absent lors du congrès de Brest de la SFIO, en 1913, retenu à Paris par ses obligations parlementaires.

Pourtant on sait que Jean Jaurès est présent lors du procès Dreyfus qui se tient à Rennes. De plus, c’est dans cette même ville qu’étudie, à l’Ecole nationale d’agriculture, Raoul Villain, l’homme qui l’assassine en ce 31 juillet 1914, au café du croissant.  L’émotion qu’entraîne ce meurtre est immense et il n’est sans doute pas utile de détailler plus en ces colonnes ce point tant il est connu1. Mais il est pourtant un détail, que rappelle la Dépêche de Brest dans son édition du 2 août 1914, qui est rarement mentionné et qui dit bien l’ampleur du choc causé par la nouvelle de cet assassinat.

Jean Jaurès a en effet un frère cadet, Louis, né un an plus tard, en 1860. Elève lui aussi extrêmement brillant, il se destine à une carrière militaire et intègre l’Ecole navale, à Brest. En d’autres termes, chez les Jaurès, derrière le socialiste que l’on qualifie souvent – de manière assez anachronique d’ailleurs – d’antimilitariste se cache un officier supérieur de la Royale. Celui-ci n’est d’ailleurs pas sans parfois pâtir de la brillante carrière de son aîné. Ainsi l’Ouest-Eclair se fait l’écho de graves accusations le visant suite à l’explosion, en rade de Toulon, ayant entraîné la perte du cuirassé Liberté et la mort de plusieurs dizaines de personnes. Jugé en conseil de guerre, le capitaine de vaisseau Jaurès est pourtant blanchi…

La carrière de l'officier supérieur se poursuit donc et, en avril 1912, il prend le commandement du cuirassé Démocratie. En janvier 1914, il est même promu au rang de contre-amiral.

Alors que l’Europe sombre dans la guerre, Louis Jaurès est sur le territoire de la 10e région militaire, entité administrative née de la réforme de 1873 et dont le commandement est à Rennes2. C’est en effet à Cherbourg, le 1er août 1914, dans les bureaux du préfet maritime – poste qu’il occupera quelques années plus tard – qu’il apprend la mort de son frère par un télégramme du ministre de la Marine lui adressant toutes ses condoléances.

On imagine qu’à ce moment la tension est immense tant la guerre est imminente. En effet, l’on croit à l’époque fermement au risque d’un débarquement allemand sur les côtes.

Article de la Dépêche de Brest du 2 août 1914. Archives Le Télegramme.

C’est ainsi que nombreux sont les régiments territoriaux bretons affectés dans les toutes premières semaines du conflit à la défense du littoral, de Ouessant à la presqu’ile du Cotentin3. Dès lors, il est évident que la présence à poste d’un officier de la valeur de Louis Jaurès est absolument indispensable. Et pourtant, le ministre délivre au frère de Jean Jaurès une permission exceptionnelle et l’autorise à se rendre à Paris.

Bien sûr, cette anecdote ne doit pas conduire à surestimer les liens de Jaurès à la Bretagne. Pour autant l’anecdote que relaie la Dépêche de Brest dans son édition du 2 août 1914 est instructive en ce qu’elle dit bien la puissance du choc qu’est la nouvelle de la mort de Jean Jaurès. Rares sont en effet les militaires – de surcroît de carrière – à pouvoir disposer en ces heures cruciales d’une permission pour raisons familiales… Peut-être faut-il y voir une trace de l’Union sacrée naissante.

Erwan LE GALL

 

1 Dans la bibliographie éminemment riche sur Jean Jaurès on se rapportera à RABAUT, Jean, 1914, Jaurès assassiné, Bruxelles, Complexe, 2005.

2 CHANET, Jean-François, Vers l’Armée nouvelle, République conservatrice et réforme militaire, 1871-1879, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

3 SHD-DAT : 26 N 789/12, JMO 73e RIT, 26 N 790/1, JMO 74e RIT et 26 N 790/12, JMO 76e RIT, 26 N 792/1, JMO 87e RIT, août 1914. A la fin du mois d‘août 1914 le 87e RIT gagne la région parisienne, dans le secteur de Tremblay.