L’explosion de New-York et ses répercutions sur l’opinion bretonne en 1916

Le 30 juillet 1916, alors que la Grande Guerre s’apprête à entrer dans sa troisième année, New-York est « ravagée » par l’explosion du dépôt d’armement de Black Tom. A plusieurs milliers de kilomètres des tranchées de Verdun, l’évènement semble d’autant plus anecdotique, pour la majorité des Français, que rien ne permet encore d’affirmer qu’il s’agit d’un sabotage perpétré par des agents allemands. Malgré tout, l’accident suscite immédiatement l’intérêt de la presse bretonne.

Après l'explosion. Wikicommons.

Dès le lendemain du drame, les principaux quotidiens se saisissent en effet de l’information en insistant sur son caractère sensationnel puisque, selon les sources, la déflagration aurait provoqué la mort de plusieurs dizaines d’habitants. L’Ouest-Eclair assure que « tout le pays, à plusieurs kilomètres autour, a été secoué comme par un tremblement de terre »1. De son côté, La Dépêche de Brest donne davantage de détails. Le quotidien précise que le « quartier de Wal (sic) Street est ravagé », que la « station d’émigration » d’Ellis Island serait détruite et que « l’île où l’explosion a eu lieu n’est plus qu’un tas de débris » 2. Le journal finistérien, un brin chauvin, s’empresse de rassurer ses lecteurs au sujet de la Statue de la Liberté qui n’est que « légèrement endommagée » 3.

A ce stade de l’enquête, une partie de la presse bretonne envisage l’explosion comme un simple fait divers. L’Ouest-Eclair révèle que certains témoins attribuent l’incident « à des étincelles échappées du foyer d’une locomotive » alors que « d’autres déclarent que l’explosion avait suivie l’incendie qui avait éclaté à bord d’une péniche amarrée à quai »4. Pour le quotidien rennais, la thèse de l’accident semble d’autant plus probable que deux New-Yorkais sont rapidement interpellés « pour homicide involontaire »5. Pourtant, au même moment, une autre partie de la presse bretonne, s’appuyant sur les propres doutes des autorités américaines, s’interroge sur un possible « un complot allemand »6. Dès le 1er août, la thèse du sabotage est ouvertement évoquée dans les colonnes de La Dépêche de Brest et du Nouvelliste du Morbihan. Ce dernier prévient que l’explosion n’est que la première étape « d’une vaste campagne de terrorisme dont le but est d’arrêter à tout prix les expéditions de munitions aux Alliés » et qu’il faut, en conséquence, s’attendre « à de prochaines arrestations sensationnelles »7.

Le point de vue du Nouvelliste du Morbihan est d’autant plus censé qu’il tient compte de l’actualité américaine. Et pour cause, en pleine campagne présidentielle, le candidat républicain Charles Evans Hugues tente de tirer profit de la situation. Quelques heures après la catastrophe de New-York, il accuse une nouvelle fois son adversaire, le président Woodrow Wilson, de mener une politique internationale ambiguë qui a pour effet d’importer des « attentats répétés » sur le sol américain, tout en pointant son incapacité à lutter contre « les complots et conspirations ourdis dans l’intérêt d’une nation étrangère »8.

Après l'explosion. Wikicommons.

Ainsi, tel que le prévoyait le journal morbihannais, la suspicion prend rapidement le pas sur la raison. Alors que la sécheresse s’est abattue sur les Etats-Unis, il n’en faut pas plus pour s’imaginer que les nombreux incendies de forêts pourraient avoir une origine criminelle9. De la même manière, lorsqu’une nouvelle explosion détruit « une douzaine de wagons de marchandises » à New-York, « les agents de la police » sont immédiatement « lancés à la recherche de deux Autrichiens très bien mis qu’on a vu s’enfuir quelques instants avant l’explosion »10. Dès lors, si l’explosion du dépôt de Black Tom est, pour une partie de la presse, une manière de condamner explicitement la « barbarie » allemande, elle contribue sans nul doute à faire prendre un peu plus conscience aux Bretons que le conflit ne se cantonne plus aux seules tranchées européennes.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « L’explosion de New-York fait de nombreuses victimes », L’Ouest-Eclair, 31 juillet 1916, p. 4.

2 « Les explosions, à New-York, déterminent de vastes incendies », La Dépêche de Brest, 31 juillet 1916, p. 3.

3 La visite du bras et de la torche est, depuis, interdite.

4 « L’explosion de New-York », L’Ouest-Eclair, 1er août 1916, p. 1.

5 « Deux arrestations », L’Ouest-Eclair, 2 août 1916, p. 1.

6 « L’incendie de New-Jersey », Le Nouvelliste du Morbihan, 1er août 1916, p. 2.

7 « Les incendies en Amérique et la main boche », Le Nouvelliste du Morbihan, 5 août 1916, p. 2.

8 « La campagne présidentielle aux Etats-Unis », La Dépêche de Brest, 1er août 1916, p. 2.

9 « Plusieurs villes incendiées aux Etats-Unis », La Dépêche de Brest, 31 juillet 1916, p. 2.

10 « Çà et là », Le Nouvelliste du Morbihan, 11 août 1916, p. 1.