La création de la musique du 78e RIT

Les musiques régimentaires comptent probablement parmi les objets les moins étudiés par l’historiographie de la Première Guerre mondiale. Ces poilus exercent le plus souvent la fonction de brancardier et sont bien régulièrement relégués au rang de curiosité pittoresque, autrement dit sans intérêt. Or c’est justement parce qu’elles relèvent d’un certain folklore que ces formations constituent un passionnant sujet d’étude. C’est d’ailleurs ce que rappelle la naissance de la musique du 78e régiment d’infanterie territoriale de Saint-Malo, en 1916.

Carte postale. Collection particulière.

Ces orchestres ne sont pas à proprement parler des nouveautés de la Grande Guerre. Au contraire, on sait que ces musiques et leurs équivalents civils, les fanfares, contribuent pour une large part à la diffusion d’un vaste répertoire musical. A Saint-Malo, les concerts de la musique du 47e régiment d’infanterie constituent ainsi tout au long de la Belle époque un moment prisé de la saison balnéaire, évènement qui est régulièrement annoncé dans la presse locale. De même, quelques archives nous apprennent que c’est devant une foule particulièrement compacte que la musique du 47e régiment d’infanterie interprète, le 4 août 1914, les hymnes nationaux alliés ainsi que le Chant du départ1.

Cette fonction récréative ne disparait pas avec le conflit. Bien au contraire, les musiques redoublent d’activité avec la guerre de positions, jouant lors des prises d’armes ou donnant des concerts à destination des officiers et/ou des hommes en cantonnement de repos. Enfin, en théorie. Car si les unités d’active sont la plupart du temps dotées d’une musique, tel n’est pas nécessairement le cas des régiments de la réserve et, plus encore, de la territoriale. Dans un conflit aussi long que l’est la Première Guerre mondiale, et dont de surcroît les poilus ne connaissent pas l’issue, cette absence est d’autant plus problématique que ces orchestres contribuent largement au moral des troupes. Outre leur fonction de divertissement, ils sont en effet les dépositaires d’une certaine fierté régimentaire et participent ainsi au développement de l’esprit de corps. On comprend dès lors pourquoi le capitaine Degonzague, sur ordre du colonel de La Croix-Laval commandant le 78e RIT, écrit aux rédactions des journaux de l’arrondissement de Saint-Malo pour l’aider à constituer une musique pour son unité.

Publiée par Le Salut2, cette lettre est particulièrement instructive en ce qu’elle dit bien un élément essentiel de ces formations, le lien très fort qu’elles établissent entre le régiment et sa petite patrie de casernement. Car pour les lecteurs de ce journal, le capitaine Degonzague n’est pas un inconnu. Au contraire même puisque dans le civil cet officier est entrepreneur de travaux publics et élu au conseil municipal de Dinard.  Rappelant que c’est « en reconnaissance du dévouement qu’a montré son régiment dans toutes les affaires de détail auxquelles il a pris part que le colonel de La Croix-Laval a désiré la formation d’une Musique afin que ses hommes, qui ont au moins vingt mois consécutifs de tranchées de première ligne, puisse jouir de quelques distractions pendant les courtes périodes qu’ils passent en réserve de secteur », le capitaine Degonzague demande : « Pour cette formation, nous possédons tous les éléments voulus, nous avons des virtuoses formés dans toutes les sociétés musicales de notre région, mais il nous manque des instruments, et vous pouvez nous être d’un grand secours pour la réalisation de notre projet si vous voulez bien appeler sur notre Musique l’attention de ceux de nos concitoyens qui possèdent quelques instruments dont ils ne font pas usage. »

Une musique, le 16 avril 1916. BDIC: VAL 147/010.

Autrement dit, c’est autant en évoquant la solidarité avec les mobilisés qu’en réactivant ses réseaux d’avant-guerre que le capitaine Degonzague entend parvenir à ses fins. Or une telle méthode, qui dit bien la proximité de l’unité avec sa ville de garnison, n’a rien d’exceptionnel. Des dépouillements effectués récemment dans les archives on en effet montré que c’est d’une manière tout-à-fait analogue que les fantassins du 47e RI sont approvisionnés… en ballons de football !

Erwan LE GALL

 

 

1 Pour plus de développements sur la musique du 47e RI, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.

2 « Une musique au 78e territorial », Le Salut, n°64, 8/9 août 1916, p. 1.