« La guerre et les testaments » : une superstition « aux conséquences fâcheuses »
Si en ce 7 mars 1915, le journal L’Ouest-Eclair ouvre son édition par une étrange lapalissade – « En France, nous sommes tous plus ou moins superstitieux » – c’est pour mieux mettre en garde les soldats et leurs familles des « conséquences fâcheuses » de la croyance qui veut que « faire son testament, […] cela porte malheur ! » Cette « idée erronée transmise par la tradition » se forge par l’accumulation de supposés exemples de « parents ou d’amis morts quelques jours après avoir établi leurs dernières volontés. » Bien que l’auteur de l’article convienne que « cette superstition n’a que très peu de résultats nuisibles en temps de paix », tout comme « mille autres actions insignifiantes » : « être treize à table, renverser la salière, mettre les couverts en croix » ; tout cela démontre pour lui une « certaine infériorité dans l’existence », quand bien même elles émanent de « personnes les plus instruites ».
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Carte postale. Collection particulière. |
Alors que les combats dans les tranchées font toujours rage et que la mort est devenue massive, pour ne pas dire industrielle, cette superstition devient « un danger que l’on ne saurait trop combattre dans l’intérêt des familles et surtout des femmes dont les maris sont aux armées. » Pour le soldat, la rédaction d’un testament devient en effet une « nécessité absolue », dans le but de protéger son foyer, d’autant plus s’il « s’est marié sans contrat », ou si son « union est illégitime ».
Mais, comment rédiger ses dernières volontés dans ces circonstances exceptionnelles puisqu’il « n’y a pas de notaires aux armées, ou tout du moins ayant qualité pour recevoir » ? Le papier timbré est également « presque impossible [à se] procurer sur le front. » Pour l’auteur, la solution la plus simple est la rédaction d’un « testament olographe ». Celui-ci est « écrit en entier de la main du testateur » et possède « la même valeur », bien que « tous les détails des sujets à contestations seraient mieux précisés, mieux prévus » dans une étude notariale. Le soldat au front, ou sur le point d’y partir, commence alors par écrire, « à l’encre et non au crayon », ces mots : « Ceci est mon testament », puis énumère ses dernières volontés. Enfin, il ne doit pas oublier de dater, signer, préciser le lieu de rédaction et surtout de ne faire aucune « addition, ni correction écrite d’une autre main. » Si le soldat n’a pas « une instruction suffisante », il peut faire rédiger son testament par « un camarade notaire, avoué, avocat, greffier de tribunal, ou d’autre profession libérale », « mais il devra le recopier lui-même intégralement ».
Une fois son testament olographe rédigé, où le soldat peut-il le déposer afin qu’il « ne soit pas égaré ou détruit » ? Le journaliste répond que « cela importe peu, pourvu que la bénéficiaire connaisse l’endroit et que la pièce [où il est conservé] ne soit pas en danger d’être supprimée. » Un notaire dans « un pays où [le soldat] se trouve » fait parfaitement l’affaire. A défaut de notaire, « toute personne honorable se chargera de grand cœur, de ce dépôt. » Dès lors, si le soldat trouve la mort au combat, sa « femme n’aura plus à craindre une lutte souvent âpre, toujours douloureuse, avec d’autres héritiers. »
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Carte postale. Collection particulière. |
Au final, on peut noter que le quotidien catholique L’Ouest-Eclair tient ici à discréditer les superstitions et croyances populaires, en les opposant à la rationalité juridique. Mais plus important encore, un tel article témoigne d’indéniables facultés d’adaptation aux circonstances exceptionnelles imposées par une guerre qui dure depuis déjà plusieurs mois. Un conflit qui a profondément bouleversé la vie quotidienne des Français, jusque dans leur rapport à la mort, et qui avec les nombreux cas de disparition survenus lors de l’été 1914 montre plus que jamais l’importance de cette dimension administrative du deuil1.
Thomas PERRONO
1 Sur ce point, on renverra à profit à LE GALL, Erwan, La Courte Grande Guerre de Jean Morin, Spézet, Coop Breizh, 2014. |